Regards croisés

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Fête du Christ Roi

Nous sommes, avec ce texte du Jean, dans la dernière semaine avant le début de la période de l’avent. La tradition chrétienne a nommé ce dimanche la fête du Christ Roi. Nous pouvons nous demander pourquoi cette association entre Christ et roi. Cette association vient de la tradition juive héritée de l’Ancien Testament. Des prophètes, entre autres Isaïe, parlaient de l’envoyer de Dieu qui viendrait sauver le peuple juif. Le peuple juif s’est doté d’une royauté à partir de Saul, David et Salomon. On disait alors que le roi était le lieutenant de Dieu. Puis les rois étrangers ont longtemps occupé le royaume juif, comme aux temps de Jésus où la Palestine, nom donné à la province romaine, était dominée par l’Empire romain. Dans la pensée juive, le Messie était l’envoyé de Dieu qui viendrait libérer le peuple juif. Cette idée du Messie libérateur était associée à la royauté juive, en particulier à David qui avait été un roi qui avait régné sur Israël avec une grande puissance. Même les disciples ont cette image de Jésus. Pensez à l’épisode où des disciples lui demandent de siéger à sa droite et à sa gauche (Marc 10,37).

De quel royaume parle Jésus?

Pourtant, le Dieu de Jésus n’est pas le représentant d’un pouvoir arbitraire, un Dieu des armées. Il est un Dieu désarmé. Le visage que Jésus présente de Dieu se trouve dans ses paraboles, c’est l’image du père prodigue, celui qui accueille l’enfant qui a dilapidé son héritage, l’image du bon Samaritain qui a su se faire ce prochain de l’homme blessé sur la route de Jéricho. L’image que Jésus a voulu laisser du Père, c’est celle de celui qui se fait proche de nous, qui partage notre histoire. Une réalité à venir de ce qu’il appelait le royaume.

C’est une représentation savamment construite que cette confrontation entre Pilate et Jésus où il est question de royauté. C’est étonnant combien de fois, dans ce court texte, est prononcé le mot roi. Pourtant, dans tous les évangiles, Jésus ne s’est jamais proclamé roi. Toujours, ce sont ses opposants ou encore ceux qui, dans la foule ou chez ses disciples, ne comprennent pas sa mission, qui vont l’appeler ainsi. C’est ainsi qu’après la multiplication des pains sur la montagne, près de la mer de Galilée, Jésus, « sachant qu’on allait venir l’enlever pour le faire roi, se retira à nouveau, seul, dans la montagne » (Jn 6,14-15). Les opposants de Jésus, dans la haute hiérarchie du pouvoir religieux juif, vont aussi lui donner ce nom. Ils n’ont pas le pouvoir de se débarrasser de Jésus. C’est l’armée d’occupation romaine qui, seule, a le pouvoir de mettre à mort. Ils vont ainsi le dénoncer aux autorités romaines comme étant quelqu’un qui se présente comme le descendant des rois juifs, le roi-messie, comme nous l’avons vu plus haut.

Jésus et royauté : un paradoxe

C’est le pape Pie XI qui va instaurer la fête du Christ Roi en 1925 pour rappeler la royauté de Jésus sur toutes les nations. Dans nos sociétés démocratiques du xxie siècle, c’est une association qui peut être dissonante. Devant les potentats assoiffés de pouvoir et les militaires qui renversent les gouvernements élus par des coups d’État, il nous faut faire attention dans cette association faite entre Jésus et royauté. Comme l’écrit Alain Marchadour, dans Venez et vous verrez (p. 442), « Les critères traditionnels pour apprécier la royauté de Jésus ne sont pas pertinent : beauté des palais, richesse débordante, faste des cérémonies, puissance militaire… Les soldats vont se moquer de cette piètre royauté par la couronne d’épines et le vêtement pourpre. » Cette royauté de Jésus est donc ailleurs, radicalement ailleurs doit-on dire.

Au soir du Dernier Repas, nous rappel le commentaire de Georges, Jésus avait dit: « Je suis le chemin vers la vérité de la vie » (Jn 14,6). Il nous offre une règle de vie qui englobe notre être et notre agir. Jésus s’est toujours opposé au mode d’autorité qui anime les rois et dictateurs de notre monde, qui sont ceux de la violence et de la force. Toute sa vie prêche à l’encontre de cet exercice de l’autorité. C’est pourquoi je pense, qu’associé le titre de roi à Jésus est problématique. L’histoire va toujours associer à la définition du roi dans nos sociétés humaines à l’autoritarisme et à la force brute. Alors que, pour moi, ce « chemin de vérité » qu’est la parole de Jésus, s’il me donne une direction, c’est celle de me mettre debout et de grandir.

C’est au soir du geste du lavement des pieds que Jean fait dire à Jésus: qui me voit, voit le Père (Jn 14,9). Or Jésus accomplit ce geste de tendresse (laver les pieds), alors même qu’il dit à Pierre qu’il sait qu’il va le renier. Ainsi Pierre pourra se souvenir que Jésus lui a par avance pardonné. C’est ainsi que Jésus témoigne de la vérité de Dieu. Car si Jésus s’est montré impuissant devant la violence de ses adversaires, devant le reniement de Pierre, la trahison de Judas et l’abandon des disciples, c’est parce que ce Dieu-Père n’est qu’amour et qu’il se veut lui-même « impuissant » contre le mal. Il refuse de venger sa gloire s’il doit pour cela employer quelque violence que ce soit. Ce qui ne veut pas dire que Jésus soit indifférent au mal. Au contraire, il ne cessera de dénoncer tout ce qui peut défigurer l’être humain. Il se fera proche des pauvres, des rejetés. Il demandera avec force au riche de partager. Mais il ne fera rien qui puisse priver quiconque de sa liberté.

Georges Convert

Étienne Godard

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