17e dimanche ordinaire (année B), selon l’écrit de Jean 6, 1-15
1 Après cela, Jésus s’en va de l’autre côté de la mer de Galilée, [dite] de Tibériade.
2 Une grande foule le suit
parce qu’ils ont perçu les signes qu’il accomplit sur les malades.
3 Avec ses disciples, Jésus monte sur la montagne et là il s’assoit.
4 La Pâque, la fête des Juifs, est proche.
5 Levant alors les yeux et voyant qu’une foule nombreuse vient à lui,
Jésus dit à Philippe: Où achèterons-nous des pains pour que ces gens mangent?
6 Il dit cela pour l’éprouver car il sait, lui, ce qu’il va faire.
7 Philippe lui répond:
200 deniers de pain ne leur suffisent pas pour que chacun reçoive un peu.
8 Un de ses disciples, André le frère de Simon-Pierre, lui dit:
9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons.
Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?
10 Jésus dit: Faites étendre les gens.
Il y a beaucoup d’herbe en ce lieu.
Il s’étendent: les hommes sont au nombre d’environ cinq mille.
11 Jésus prend alors les pains, et, ayant rendu grâces,
il les partage aux convives; de même des poissons autant qu’ils en veulent.
12 Quand ils sont rassasiés, il dit aux disciples:
Ramassez le surplus des morceaux afin que rien ne soit perdu.
13 Ils rassemblent donc
et remplissent 12 couffins avec les morceaux provenant des 5 pains d’orge
qui sont de reste à ceux qui ont mangé.
14 Alors les gens, voyant le signe qu’il a accompli, disent:
Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde!
15 Alors Jésus, sachant qu’ils vont venir et l’enlever pour le faire roi,
se retire plus avant dans la montagne, seul.
—
Le commentaire du pain sur la table,
par Georges Convert.
Après l’écoute d’un tel récit, nous pourrions conclure: du pain et encore du pain…
Ce pain qui est l’aliment de base pour une grande partie de l’humanité.
Encore aujourd’hui, dans nos grandes villes du monde soi-disant développé,
des organismes communautaires doivent lutter
afin de permettre à des enfants de manger à leur faim.
Pouvons-nous vraiment comprendre le signe qu’il accomplit?
Et quand nous avons le privilège de manger à notre faim,
nous pouvons alors nous poser la question:
Qu’est-ce qui fait vraiment vivre? Qu’est-ce qui donne sens à la vie?
Est-ce que Jésus donne du pain uniquement pour nourrir le corps?
Pouvons-nous vraiment comprendre le signe qu’il accomplit?
La place de ce texte dans le récit de Jean
Jésus termine un long discours sur les oeuvres que le Père lui a donné à accomplir:
Ce sont elles qui portent témoignage que le Père m’a envoyé (Jn 5,36).
Cependant ce témoignage n’est pas accueilli par la plupart des gens qui l’écoutent:
Le Père qui m’a envoyé a lui-même porté témoignage à mon sujet.
Mais jamais vous n’avez ni écouté sa voix ni vu ce qui le manifestait…
Vous scrutez les Ecrits parce que vous pensez acquérir par eux la vie éternelle:
ce sont eux qui rendent témoignage à mon sujet.
Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle (5, 37-40).
C’est dans ce contexte que le Christ intervient pour nourrir une grande foule.
Ce repas des pains multipliés tient une place centrale dans le récit de Jean.
Il marque le sommet et sans doute le terme de l’activité de Jésus en Galilée:
pour ceux qui ont été attirés pas le prophète Jésus,
c’est le moment de l’option décisive entre la foi en ses paroles
ou le refus de voir sa mission comme venant du Père Divin.
Cela amènera Jésus a posé la question de confiance à ses disciples:
Dès lors plusieurs de ses disciples se retirèrent et ils ne marchaient plus avec lui.
Jésus donc dit aux Douze: «Et vous, voulez-vous aussi vous en aller?»
Simon Pierre lui répondit: «Seigneur, auprès de qui nous en irions-nous?
Tu as les paroles de la vie éternelle;
et nous, nous croyons et nous savons que toi, tu es le Saint de Dieu» (6,66-69).
Comment comprendre cette réaction d’abandon?
Pourquoi ceux qui vont le quitter n’ont-ils pas compris les signes?
Une grande foule le suit
parce qu’ils ont perçu les signes qu’il accomplit sur les malades.
Quels sont les signes qui retiennent l’attention des gens.
Le récit de Jean a présenté les noces de Cana où Jésus a changé l’eau en vin:
Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus.
Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui (2,11).
Puis nous avons le geste éclatant des vendeurs chassés du parvis du temple (2,18):
les Judéens demandent alors un signe: Quel signe nous montreras-tu,
pour agir de la sorte?
Jésus répond alors par une parole qui restera énigmatique
tant que la résurrection ne sera pas venue l’éclairer:
«Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai.»
Mais lui parlait du Temple de son corps (2,19.21).
Puis il nous est dit que Jésus accomplit des signes, mais sans les préciser:
Tandis que Jésus séjournait à Jérusalem, durant la fête de la Pâque,
beaucoup crurent en son nom à la vue des signes qu’il opérait (2,23).
Mais le récit ajoute aussitôt que cette foi n’est pas véritable:
Mais Jésus, lui, ne croyait pas en eux, car il les connaissait tous,
et il n’avait nul besoin qu’on lui rendît témoignage au sujet de l’homme:
il savait, quant à lui, ce qu’il y a dans l’homme (2,24-25).
Le récit se poursuit par la rencontre entre Jésus et Nicodème
qui semble avoir foi en Jésus et comprendre les signes qu’il accomplit (3,2):
Il vint, de nuit, trouver Jésus et lui dit:
«Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu,
car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui.»
Pourtant, cette fois encore, Jésus fait comprendre à Nicodème
qu’il lui faut accéder à un autre niveau en se laissant engendrer de l’Esprit divin:
«Tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses!
Nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu
et pourtant vous ne recevez pas notre témoignage (3,10-11).
Un passage dans la province hérétique de Samarie provoque une rencontre
entre Jésus et des Samaritains qui -eux- semblent croire vraiment en lui:
Nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons
qu’il est vraiment le Sauveur du monde (4,42).
En Galilée, un officier royal, qui demande à Jésus de guérir sa fille, suscite cette réflexion:
(4,48-50) «Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez point.»
L’officier royal lui dit: «Seigneur, descends avant que mon enfant meure.»
Jésus lui dit: «Va, ton fils vit.»
Et l’homme crut la parole que Jésus lui avait dite, et s’en alla.
Après la guérison d’un paralytique à Jérusalem,
le témoignage de Jésus n’est pas davantage accueilli:
Dès lors, les Juifs n’en cherchaient que davantage à le faire périr,
car non seulement il violait le sabbat,
mais encore il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu (Jn 5,18).
C’est donc dans ce contexte d’incrédulité, de méfiance de la part de beaucoup,
que va se situer le grand repas des pains.
La foule des pauvres qui suivent Jésus sera-t-elle plus disposée à croire
que ce rabbi accomplit une mission qui vient du Père?
Où achèterons-nous des pains pour que ces gens mangent?
La pensée des gens de la Bible est nourrie de toute l’histoire du peuple de Dieu.
Le geste des pains multipliés va rappeller plusieurs moments de cette histoire.
Évoquons d’abord l’épisode où Élisée va multiplier les pains (2R 4,42-44):
Il y avait alors une famine dans le pays.
Sur la récolte nouvelle, quelqu’un offrit à Elisée 20 pains d’orge et du grain frais.
Élisée dit alors: «Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent.»
Son serviteur répondit: «Comment donner cela à 100 personnes?»
Élisée reprit: «Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent,
car ainsi parle le Seigneur: on mangera, et il en restera.»
Alors il les servit, ils mangèrent, et il en resta, selon la parole du Seigneur.
Plusieurs détails rapprochent ce texte du repas des pains multipliés.
Le serviteur d’Élisée est un jeune garçon, comme le jeune qui va offrir les 5 pains.
Là comme ici, ces pains sont des pains d’orge.
On peut donc comprendre la réaction de la foule
qui reconnaît en Jésus un prophète plus grand qu’Élisée:
Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde!
Cette réflexion de la foule nous renvoie probablement au Prophète tant attendu
qui devait être un nouveau Moïse, selon la promesse de Dieu (Dt 18,15-18):
«Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi,
je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui commanderai.»
D’ailleurs plusieurs allusions de notre récit vont renvoyer au temps du désert.
Le repas est censé se passer alors que la Pâque, la fête des Juifs, est proche.
Il s’agit sans doute moins d’une précision chronologique
que d’une allusion à l’épisode de la manne.
Si cela est vrai, rappelons-nous l’épisode de la manne
et la compréhension qui s’en était faite au long des siècles.
(Ex 16,2-35) Dans le désert, toute la communauté murmura contre Moïse et Aaron.
«Ah! si nous étions morts au pays d’Egypte, quand nous mangions du pain à satiété!
Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée!»
Le Seigneur dit à Moïse: «Du haut du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous.
Le peuple sortira pour recueillir chaque jour la ration quotidienne. …
Vous vous rassasierez de pain et vous connaîtrez que c’est moi le Seigneur, votre Dieu.»
Le matin, sur la surface du désert, il y avait quelque chose de fin, de crissant. …
Les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre: «Mân hou?» («Qu’est-ce que c’est?»)
Moïse leur dit: «C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger.
Recueillez-en autant que chacun peut manger… d’après le nombre de vos gens.»
La maison d’Israël donna à cela le nom de manne.
C’était comme de la graine de coriandre, blanc, avec un goût de beignets au miel.
Le Seigneur dit à Moïse:
«Jusques à quand refuserez-vous de garder mes commandements et mes lois? …
Les fils d’Israël mangèrent de la manne pendant quarante ans
jusqu’à leur arrivée en pays habité .
Cet épisode va comporter deux leçons pour Israël.
- La première est que la création peut nourrir les humains, en n’importe quel lieu;
et l’on doit y voir un don du Créateur.
Il faut pourtant veiller à ce que certains n’accumulent pas en stockant pour l’avenir.
La manne en effet ne se conservait pas
et chacun devait en cueillir uniquement selon ses propres besoins.
On retrouvera cette leçon dans les paroles de Jésus (Lc 12,18-24):
Il se dit: Voici ce que je vais faire: je vais démolir mes greniers,
j’en bâtirai de plus grands et j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens.
Et je me dirai: Te voilà avec quantité de biens en réserve pour de longues années;
repose-toi, mange, bois, fais bombance. Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même
on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura?
Voilà ce qui arrive à qui amasse un trésor pour lui-même au lieu de s’enrichir auprès de Dieu.»
Jésus dit à ses disciples: «Voilà pourquoi je vous dis: ne vous inquiétez pas
pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez.
Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. - La deuxième leçon est qu’il faut dépasser les besoins matériels pour nourrir notre vie spirituelle.
La parabole du fermier parle de s’enrichir auprès de Dieu.
Le Deutéronome reliait déjà une leçon semblable à la manne:
Le Seigneur-Dieu t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim
et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez,
pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement,
mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur (Dt 8,3).
Cette réponse sera mise dans la bouche de Jésus lors des tentations du désert.
Le livre de la Sagesse explicitait ce message:
[Par la manne] tes fils que tu as aimés, Seigneur, devaient apprendre
que ce n’est pas la production de fruits qui nourrit l’homme,
mais bien ta parole qui fait subsister ceux qui croient en toi (Sg 16,26).
Que l’être humain ne s’abaisse pas au rang de l’animal
en réduisant son horizon aux biens matériels, voilà ce que ne cesse de dire la Bible.
«Faites étendre les gens.» Il y a beaucoup d’herbe en ce lieu.
Il s’étendent: les hommes sont au nombre d’environ cinq mille.
Jésus prend alors les pains; ayant rendu grâces, il les partage aux convives.
Pour comprendre ce geste de Jésus, redisons le sens du repas dans la Bible.
Lorsqu’il puise dans l’univers ce qui lui est nécessaire pour vivre
(l’eau, l’air, les végétaux, etc.), un lien vital unit l’être humain à la création.
Mais ce lien doit le conduire au Créateur qui est la source de tous ces biens.
Voilà pourquoi il rend grâce avant de manger.
L’humain s’animalise et se détruit, si le repas n’est pour lui que manger et boire.
Il doit unir à ce besoin corporel la satisfaction de son besoin spirituel.
C’est pourquoi le repas doit à la fois unir les convives entre eux et les relier à Dieu.
En Orient, on ne mange pas avec des gens que l’on ne connaît pas.
Entre convives, il ne suffit pas de parler de la pluie et du beau temps.
Le dialogue doit se situer au niveau spirituel comme disait Rabbi Siméon:
«Si trois hommes mangeant à la même table s’entretiennent de la Tora,
c’est comme s’ils mangeaient à la table du Seigneur-Dieu» (Pirkei Aboth 3,4).
Les évangiles nous montrent que Jésus a souvent vécu cette communion des convives.
Le grand repas des pains est lui aussi lié au partage de la Parole.
Les textes de Marc et Luc sont explicites:
En débarquant, Jésus vit une grande foule.
Il fut pris de pitié pour eux parce qu’ils étaient
comme des brebis qui n’ont pas de berger,
et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses (Mc 6,34 et cf Lc 9,11).
Les 3 synoptiques notent que cet enseignement a duré tout le jour.
Le récit de Jean traduit cela d’une manière plus succincte:
Avec ses disciples, Jésus monte sur la montagne et là il s’assoit.
L’expression «il s’assoit» est symbolique, comme dans la langue française le mot « chaire »
qui vient du vieux verbe « seoir » (s’asseoir) et désigne à la fois un siège à dossier
et la fonction d’enseigner: on parle, par exemple, d’une chaire de philosophie.
Dans la langue biblique, on dit des rabbis qu’ils sont assis sur la chaire de Moïse.
Le repas des pains n’est donc pas d’abord un geste magique de multiplication.
Pour Jésus, il s’agit d’un grand moment de communion avec Dieu
pour tous ceux qui ont écouté son enseignement.
La mention de l’herbe est évocatrice du psaume du bon pasteur (Ps 22-23):
Le Seigneur-Dieu est mon pasteur, je ne manque de rien.
Sur de frais herbages il me fait coucher;
près des eaux du repos il me mène… Devant moi tu dresses une table.
Les foules rassemblées par Jésus sont souvent faites des am ha aretz,
c’est-à-dire de ceux qui sont les pauvres, les rejetés de la société du temps.
Les voilà donc invités à la Table du Seigneur-Dieu
qui rompt pour eux le Pain de sa Parole et de son Amour.
Ils seront tous rassasiés
et il y en aura pour le peuple entier de ceux qui viendront à l’avenir écouter Jésus.
Tel est sans doute le sens de ces douze paniers -autant qu’il y a d’apôtres-
à l’image du premier peuple de Dieu qui était formé de douze tribus.
Le nombre des hommes (5000) est aussi un symbole évocateur.
Marc, ici encore, est plus explicite:
Il leur commanda d’installer tout le monde par groupes sur l’herbe verte.
Ils s’étendirent par rangées de cent et de cinquante (Mc 6,39-40).
5000 est la somme de 50 fois 100. Voilà encore un écho de la période du désert
et de la façon dont Moïse y avait organisé le peuple pour lui donner des responsables:
Le beau-père de Moïse lui dit: «Tu vas t’épuiser…
La tâche est trop lourde pour toi. Tu ne peux l’accomplir seul.
Tu discerneras, dans le peuple, des hommes craignant Dieu, dignes de confiance;
tu les établiras comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines.
Ils jugeront le peuple en permanence» (Ex 18,17-23).
Ainsi Jésus se présente comme le nouveau prophète semblable à Moïse,
lui qui va confier son peuple aux apôtres
pour que ce peuple ne soit plus comme des brebis sans pasteur (cf Mc 6,34).
En Marc et en Luc ce sont les apôtres qui distribuent le pain
et ils rapportent la demande de Jésus: Donnez-leur vous-même à manger (Mc 6,37).
Dans la suite de l’histoire, la communauté-Église se donnera des pasteurs
pour qu’ils rompent le Pain de l’Évangile.
Alors Jésus, sachant qu’ils vont venir et l’enlever pour le faire roi,
se retire plus avant dans la montagne, seul.
Le geste hautement symbolique de ce grand repas devait conduire les foules
à voir en Jésus le Prophète attendu. L’occupation du pays par Rome
depuis près de 100 ans avive l’espérance d’un Libérateur.
Les pauvres, victimes des taxes romaines, mettent leur espoir dans la venue d’un messie.
Il est naturel qu’elle pousse Jésus à prendre la tête d’un mouvement de libération.
Depuis des décades, particulièrement en Galilée, il y a des militants
qui tendent souvent des embuscades aux soldats de Rome.
Mais Jésus refuse et il s’expliquera le lendemain dans la synagoque de Capharnaüm.
C’est que la foule risque de réduire son cri vers Dieu à un besoin de pain
et d’oublier que sa détresse spirituelle est encore plus dramatique:
Ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez,
mais parce que vous avez mangé des pains à satiété (Jn 6,26).
Dans son ouvrage Jésus raconté par le Juif errant, Edmond Fleg, un Juif, décrit
les raisons du refus de Jésus de prendre la tête de ceux qui s’appelleront les Zélotes:
«Je rentre à la maison! Il refuse! Il veut que le royaume se fabrique tout seul!
Et cet homme-là craint qu’on l’enchaîne, comme le Baptiseur!
Qui pense à l’arrêter? À qui fait-il peur? Tous le laissent pérorer.
Il dit au pauvre: Tu es heureux, les riches peuvent dormir!
Il dit au tâcheron: Trime pour le Romain, le Romain peut rire!
Moïse allait-il flairer la poussière sous les sandales du Pharaon?
Élie léchait-il les pieds de Jézabel?
[Eux,] ils marchaient droit, ils parlaient droit. On savait ce qu’ils voulaient.
Et le Baptiseur? Caressait-il la chienne Hérodiade?
Mais ce rêveur, ce trembleur, dont la parole fuit, et qui fuit derrière elle, un Messie?
Un Messie qui n’ose pas être roi? Le Messie des songe-creux! Le Messie des femmes!
Je te le laisse, Ruben, ton Messie!
Et voilà comment Baruch, le Zélote, quitta Jésus, le Galiléen» (Albin Michel 1993, p. 79).
C’est peut-être ainsi que la foule comprendra le refus de Jésus
et que beaucoup cesseront dès lors de le suivre.
Nous retrouvons ici la question des signes
et combien il semble difficile de les voir et de les comprendre
lorsque l’humain reste au plan de ses besoins matériels:
Quoiqu’il eût opéré devant eux tant de signes, ils ne croyaient pas en lui (Jn 12,37).
Non qu’il faille ignorer ces besoins.
La misère, l’exploitation des pauvres par les riches est un mal dont Dieu est le premier à souffrir.
La dimension divine de l’être humain ne saurait être ignorée
sans que cela rende encore plus insupportable la misère.
Cela est indigne de l’humain et un blasphème envers Dieu qui veut l’humain son image.
La vie -pour être vraiment humaine- ne peut être que divine.
Voilà la mission de Jésus et sa souffrance devant le refus de ses compatriotes:
Vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle (Jn 5,40).
C’est sa Parole et son amour qui communiquent la vie divine et font vivre.
«Les Galiléens se cherchaient eux-mêmes;
ils suivaient leur rêve messianique, au lieu de s’ouvrir au don de Dieu;
ils cherchaient leur pain et non le sien.
Et voilà l’enseignement: la recherche de soi empêche de « lire » le signe
comme révélation du Christ, et de s’ouvrir à la foi»
(B. Maggioni, Assemblées du Seigneur #48, Cerf, p. 45).
Après 2000 ans d’annonce de l’Évangile, ne sommes-nous pas encore au même point?
Combien de ses disciples témoignent-ils de la priorité du spirituel?
Combien de ses apôtres se révèlent vides d’espérance:
«Il n’est sans doute pas pour un chrétien de plus douloureux échec:
l’apôtre était parti joyeusement, porteur de la Bonne Nouvelle…
et voici qu’il se découvre soudain les mains vides.
Le message dont il était chargé s’est obscurci, le trésor a été dissipé…
Il a fait, en sens inverse, le geste du marchand de l’Évangile
qui vend ses biens pour acquérir la perle sans prix…;
lui, il a laissé fuir le trésor divin, il ne lui reste plus qu’offrandes humaines.
En vain prodigue-t-il son dévouement, son amitié:
il est incapable de répondre à l’attente…
car l’homme ne se rassasie pas seulement de pain, ni de bien-être, ni de tendresse humaine;
de quelque nom qu’il le désigne, il est affamé de Dieu»
(Cardinal Suhard, Le sens de Dieu, Lahure 1948, p. 22-23)
Ce que l’archevêque de Paris disait des prêtres, est valable de chaque chrétien:
«Être témoin, c’est vivre de telle façon que la vie soit inexplicable si Dieu n’existe pas.»
Georges Convert
»»» Questions
1. Quels liens y a-t-il entre le grand repas et l’espérance des foules dans la venue du messie?
2. Quelle attitude spirituelle est nécessaire pour comprendre vraiment les «signes» de Jésus?
3. Quelles sont les leçons que la tradition biblique a tiré de l’épisode de la manne?
4. Quelle leçon nous est donnée aujourd’hui par cet épisode de l’Évangile?
5. Comment vivre aujourd’hui cette phrase: «Être témoin, c’est vivre de telle façon que la vie soit inexplicable si Dieu n’existe pas.»
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