Évangile du 22e dimanche du temps ordinaire (année C), selon le récit de Luc (14, 1-14)
1 Alors que [Jésus] est venu dans le logis d’un des chefs des pharisiens,
un jour de sabbat, pour y prendre un repas, eux sont en train de l’épier.
2 Voici qu’un homme atteint d’hydropisie se tient devant lui.
3 Jésus répond aux spécialistes de la Tora et aux pharisiens.
Il dit: Le jour du sabbat, est-il permis ou non de soigner?
4 Ceux-ci demeurent silencieux.
Jésus, saisissant [le malade], le guérit et le renvoie.
5 Et il leur dit:
Lequel d’entre vous, si un fils ou un boeuf tombe dans un puits,
le jour du sabbat, ne l’en retire aussitôt?
6 Ils ne sont pas capables de répliquer à cela.
7 Il dit une parabole aux invités,
ayant remarqué comment ils choisissent les premières banquettes.
Il leur dit:
8 Lorsque tu es invité par quelqu’un à des noces,
ne va pas t’asseoir sur la première banquette
de peur qu’il ait invité quelqu’un de plus honorable que toi;
9 celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire: «Cède-lui la place»,
10 et alors tu te mettras dans la honte à prendre la dernière place.
Au contraire, quand tu es invité, va t’asseoir à la dernière place,
de telle sorte que, lorsque celui qui t’a invité viendra te dire:
«Ami, monte plus haut»,
ce sera alors pour toi une gloire devant tous ceux qui sont attablés avec toi.
11 Car celui qui s’élève lui-même sera humilié
et celui qui s’humilie lui-même sera élevé.
12 Il dit aussi à celui qui l’a invité:
Lorsque tu fais un déjeûner ou un dîner, n’invite ni tes amis, ni tes frères,
ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu’à leur tour ils t’invitent:
13 cela te serait rendu!
Au contraire quand tu donnes une réception,
invite pauvres, estropiés, boiteux, aveugles;
14 heureux seras-tu: car ils n’ont pas de quoi te rendre!
Cela te sera rendu à la résurrection des justes.
Le commentaire du pain sur la table,
par Georges Convert.
Notre récit appartient, dans le récit évangélique de Luc, à un regroupement de textes (14,1-25)
auquel bien des exégètes ont effectivement donné le titre de « Propos de table »!
Il y a d’abord le récit d’une guérison lors d’un repas de sabbat (1-6),
deux sentences aux allures de règles de sagesse (7-11 et 12-14),
puis suivra la parabole du grand dîner (15-24).
À première vue, il n’y a pas de lien entre la guérison et les 3 autres passages,
sinon le cadre du repas.
Jésus est venu dans le logis d’un des chefs des pharisiens,
un jour de sabbat, pour y prendre un repas
Les jours ordinaires, les Juifs prenaient deux repas:
l’un dans la matinée, l’autre en fin d’après-midi.
Par contre, le sabbat comportait trois repas,
dont celui de midi qui faisait suite à l’office de la synagogue.
On aimait aussi recevoir la veille du sabbat.
On devait préparer la nourriture dans la journée,
car dès la tombée du soleil le repos du sabbat commence.
La confrérie des pharisiens organisait aussi, en cette veille de sabbat, des repas
qui comportaient un rituel liturgique.
Le rite était emprunté au repas de la Pâque que chaque famille juive célébrait une fois l’an.
Après la bénédiction du pain, on priait, on récitait des psaumes, on écoutait des textes bibliques.
Souvent le président du repas commentait les textes pour en faire une application à la vie présente,
mais ensuite tous discutaient cette mise en pratique de la Tora.
En se laissant inviter à la table d’un pharisien, Jésus sait bien qu’il s’expose
à être observé, voire épié.
C’est que Jésus transgresse souvent les règlements.
Ainsi, lors d’un autre repas chez des pharisiens, il n’avait pas fait les ablutions d’usage:
se laver les mains jusqu’au coude!
Une autre fois, il s’était laissé oindre les pieds de parfum par une prostituée,
à qui il a pardonné les péchés au grand scandale des convives:
Quel est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés? (Lc 7,49).
On sait aussi que Jésus se plaît à faire des guérisons le jour du sabbat,
ce que beaucoup voient comme une trangression du repos obligatoire en ce jour.
Le chef de la synagogue n’avait-il pas dit: Il y a six jours pour travailler…
c’est donc ces jours-là qu’il faut vous faire guérir (Lc 13,14).
Jésus, au contraire, considère que le jour du sabbat est un jour indiqué pour guérir,
pour se faire délivrer par Dieu de tous les liens qui nous attachent et nous rendent prisonniers:
Je vous demande s’il est permis, un jour de sabbat, de faire le bien ou de faire le mal,
de sauver une vie ou de la perdre? (Lc 6,9).
En guérissant le jour du sabbat, Jésus montre qu’il agit comme Dieu
car le Créateur n’interrompt pas son action de création et de vie
puisque ce jour-là des enfants naissent,
que le soleil brille et que la pluie tombe.
Cette fois encore, Jésus va guérir, ce qui est un geste de re-création…
et aussi bien les spécialistes de la Tora
que les pharisiens scrupuleux de l’observance des règles ne seront pas capables de lui répondre.
Cela va augmenter leur fureur et leur détermination à faire condamner Jésus.
Les scribes et les pharisiens étaient acharnés contre lui
et ils s’employaient à lui arracher des réponses sur toutes sortes de sujets,
en lui tendant des pièges pour surprendre ce qu’il dit (Lc 11,53-54).
N’oublions pas non plus
que, dans ce récit de Luc, nous sommes toujours sur le chemin de Jérusalem
où, dans quelque temps, Jésus sera arrêté et condamné.
Lorsque tu es invité par quelqu’un à des noces,
ne va pas t’asseoir sur la première banquette
La société d’alors est très soucieuse du rang social.
Dans ces repas de fête, on est assis ou allongé sur des coussins ou des banquettes.
La place d’honneur est sur le premier coussin ou sur le coussin central.
Comme à la synagogue, chacun aura une place déterminée selon son poste,
sa fonction ou selon la notoriété de sa famille…
ce qui se confond bien souvent avec l’argent qu’il possède.
Chacun est donc évalué selon ses titres.
On ne doit pas fréquenter les gens qui ne sont pas de sa classe.
On n’invite pas à sa table des gens d’un rang trop inférieur au sien.
Mais il est bon d’inviter des gens de rangs plus élévés
car il peut être utile, un jour ou l’autre, d’avoir des amis bien placés.
Voilà donc une vision qu’on pourrait qualifier de mondaine.
Les livres bibliques de sagesse conseillaient pourtant une attitude contraire:
En face du roi ne prends pas de grands airs.
Ne te mets pas à la place des grands.
Car mieux vaut qu’on te dise: « Monte ici! » que d’être abaissé en présence du chef (Pr 25,6-7).
Peu après, à l’époque deJésus, un rabbi donnera une règle de conduite presque semblable:
«Tiens-toi deux ou trois places en retrait de celle qui te revient (selon ton rang)
et attends que l’on te dise: Monte!
Ne commence pas par monter, car on pourrait te dire alors: Descends!
Il est meilleur que l’on te dise: Monte! Monte! plutôt que Descends! Descends!» (Lévitique Rabba I).
Jésus va conclure avec une maxime qui élargit le champ de cette règle de sagesse:
Car celui qui s’élève lui-même sera humilié et celui qui s’humilie lui-même sera élevé.
La leçon donnée quant au choix des places à table n’est donc là
qu’un exemple pour parler de quelque chose de plus large.
La leçon de Jésus concerne la façon d’envisager toute relation,
que ce soit les relations humaines ou notre relation à Dieu.
Que dit-il?
«Si tu veux entrer en vraie relation avec l’autre,
si tu veux établir une relation qui mène à une vraie fraternité,
alors souviens-toi que tu ne dois pas t’élever toi-même.»
Il ne s’agit pas de s’humilier au sens de se déprécier soi-même, de s’écraser devant l’autre.
Cette attitude de mépris de soi ou de volonté de ramper pour se faire accepter
est une attitude morbide qui n’a rien à voir avec l’enseignement de Jésus.
Comme l’écrit Pierre-Yves Émery, frère de la communauté de Taizé:
«Si le christianisme se veut la religion des faibles, s’il fabrique des ratés,
ne mérite-t-il pas les sarcasmes de Nietzsche, le mépris des hommes
qui se veulent forts et se disent adultes?» (Assemblées du Seigneur #53, p. 90).
En effet, une telle attitude qui déprécie la créature ne rend pas gloire au Créateur.
Quel serait l’amour de ce Dieu qui nous créerait incapables et ratés
pour se glorifier ensuite de venir nous secourir?
Alors comment s’explique l’attitude d’humilité prônée par Jésus?
Elle se définit par la nature même de l’amour.
C’est que l’amour vrai demande de se tenir devant l’autre en étant « accueil ».
On n’aime pas vraiment si on n’attend rien de l’autre.
Une attente qui ne doit certes rien exiger de l’autre mais davantage s’émerveiller
de ce que l’autre peut et veut nous donner,
et rendre grâce pour cette grâce, cette gratuité du don de l’autre.
La place la plus humble, d’une certaine façon, c’est la vraie place où l’amour peut jouer.
Aimer, c’est d’abord se laisser aimer.
Le besoin de dominer les autres traduit en fait une situation intérieure de faiblesse et d’insécurité,
et cela nous ferme à ce que l’autre peut nous donner, peut nous partager.
Cette humilité est la seule disposition qui soit capable d’établir des relations d’amour authentique.
Le Père Varillon exprime cela merveilleusement dans son livre L’humilité de Dieu:
«L’amour est pauvreté, dépendance, humilité.
L’aimant dit à l’aimé: Tu es ma joie.
C’est une affirmation de pauvreté:
Sans toi, je suis pauvre de joie.
Aimer, c’est vouloir être par l’autre et pour l’autre.
Par l’autre, c’est l’accueil. Pour l’autre, c’est le don.
Les deux aspects sont de pauvreté.
On ne peut dire à la fois Je t’aime et Je veux être indépendant de toi.
Ceci annule cela.
On ne peut regarder de haut quelqu’un à qui l’on dit Je t’aime» (Bayard/Centurion 1973, p. 69-70).
En effet, ce regard de haut anéantirait l’amour. On n’aime pas vraiment
si l’on n’est pas humble. On ne peut rejoindre l’autre qu’en étant soi-même petit.
Celui qui se croit fort et invulnérable ne peut véritablement aimer car il ne se laisse pas aimer.
Lao Tseu, ce philosophe chinois qui a vécu 500 avant Jésus, a écrit ce beau texte:
«Quand il vient au monde, l’être humain est souple et sans force.
Une fois mort, le voilà dur et raide.
Les roseaux et les grands arbres, quand ils sont encore petits, plient et sont fragiles.
Quand ils meurent, ils sont devenus secs et cassants.
C’est que force et dureté sont camarades de morts.
Docilité et souplesse sont amis de la vie.
La force, en définitive, n’a jamais rien conquis.»
«L’amour qui domine est un amour blessant», comme le dit très bien Stan Rougier.
N’est-ce pas pour signifier cette humble petitesse de l’amour que Jésus est désigné comme l’agneau,
c’est-à-dire comme l’humble et le petit, au milieu de ceux qui se croient des sages et des savants.
Et Jésus dira à ses envoyés
qu’il les envoie comme des agneaux au milieu des loups (Lc 10,3).
C’est humblement, par grâce et sans condition, que Dieu, Maître de l’amour, aime.
Ce « Je t’aime » inconditionnel ne peut être dit en vérité que par Dieu.
Le modèle de l’humble amour se trouve en Dieu lui-même. Dieu est humble parce qu’Il est Amour.
Cette humilité de Dieu est une nécessité pour permettre à l’humain d’aimer Dieu librement.
Si Dieu n’était pas humble, comment pourrions-nous L’aimer?
Si Dieu se révélait à nous dans toute sa grandeur,
Il s’imposerait à nous avec une telle force que nous serions comme obligés de l’aimer:
nous perdrions alors notre liberté et la gratuité de notre amour pour Lui.
De cet amour à la manière de Dieu, Jésus est l’image la plus vraie, la réalisation
la plus parfaite. C’est ce que dit Paul aux chrétiens de Philippes (Ph 2,4-7):
Comportez-vous entre vous comme on le fait en Jésus Christ.
Lui qui est de condition divine s’est dépouillé prenant la condition de serviteur.
Jésus dira que pour aimer ainsi il faut que nous nous fassions petit comme un enfant:
Qui n’accueille pas le règne de Dieu [le règne de l’amour] en petit enfant
n’y entrera pas (Lc 18,17).
Et l’attitude qui s’oppose le plus à cette conversion du coeur à l’amour
c’est le sentiment d’être supérieur aux autres parce qu’on est correct:
Comme ce pharisien que Jésus met en scène:
«Mon Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des humains
qui sont rapaces, injustes, adultères… je jeûne deux fois la semaine,
je donne la dîme de tout ce que j’acquiers» (Lc 18,11-12).
D’ailleurs, à cette prière, la même conclusion est donnée par Jésus:
Celui qui s’élève sera abaissé. Celui qui s’abaisse sera élevé (Lc 18,14).
N’invite ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni tes voisins
La deuxième leçon de Sagesse que Jésus donne est celle du choix des invités.
Son langage est une fois de plus incisif et percutant:
N’invite pas tes amis, tes frères, tes parents…
Que faut-il comprendre?
Il ne s’agit certainement pas de devenir ingrat envers ceux qui nous aiment et qui nous aident.
Mais Jésus veut nous permettre de vérifier concrètement
si l’amour que nous vivons est vrai… et donc gratuit.
Dieu est le modèle de la gratuité de l’amour:
en effet Dieu ne nous aime pas parce que nous sommes aimables.
Mais, par son amour, Il nous rendra aimables.
Notre prochain ne doit pas être aimé par nous parce qu’il nous semble beau, grand et fort.
Il doit être aimé quel que soit ce qui le rend aimable.
Il doit être aimé gratuitement, inconditionnellement.
Inviter des gens qui nous aiment et qui nous invitent à leur tour est une chose facile
et qui peut insensiblement nous faire perdre la valeur de la gratuité.
Parents comme riches voisins sont ceux qui pourront nous rendre notre invitation.
Jésus avait déjà dit:
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle gratitude y a-t-il pour vous? (Lc 6,32).
Au contraire, invitez des pauvres.
Les estropiés, les boiteux, les aveugles sont des exemples de ces pauvres
qui ne pourront rendre l’invitation car ils n’ont rien à rendre!
Dans la Sagesse d’Abikar (3,31), on trouve un enseignement semblable:
«Reçois chez toi celui qui est au-dessous de toi et celui qui est moins riche que toi.
S’il s’en va et ne te rend pas, Dieu te rendra.»
Nous avons, dans nos vieux dictons, une sagesse bien proche de celle-là:
«Qui donne aux pauvres, prête à Dieu et c’est la vie qui le lui rend.»
Nous retrouvons ici la grande préoccupation de Jésus: la gratuité des liens humains.
Pour lui, cette gratuité est la condition incontournable de leur vérité.
Donc l’assemblée des disciples de Jésus -ceux qui croient en Dieu-amour-
doit vivre cette vérité des relations humaines.
Or, en Israël, on s’appuyait sur un passage du Livre de Samuel,
pour interdire la maison de Dieu aux aveugles, aux boiteux et aux estopiés:
Aveugle et boiteux n’entreront pas au Temple (2S 5,8).
Le Lévitique interdisait aussi le sacerdoce à ces handicapés (cf Lv 21,18).
Du temps de Jésus, cette règle était appliquée chez les Esséniens de Qumrâm.
«Que nulle personne frappée de l’une quelconque des impuretés humaines
n’entre dans l’Assemblée de Dieu» (1QSa II,5).
Sans doute les Esséniens avaient-ils étendu à tous les membres la règle valant pour les prêtres,
parce qu’on considérait l’Assemblée toute entière de la congrégation comme étant sacerdotale.
De semblables lois valaient aussi autrefois pour l’ordination des prêtres catholiques:
certains handicaps physiques (comme l’épilepsie) interdisaient l’accès à la prêtrise.
Jésus veut donc lever toutes ces barrières qui rejettent en dehors ceux qui sont
considérés comme pécheurs à cause de leurs maladies.
Il est venu pour les pécheurs afin de leur redonner leur place dans la Maison de Dieu.
La guérison de l’hydropique dans un repas de sabbat prend ici tout son sens.
Les handicapés comme les pécheurs sont appelés à vivre le repas du Seigneur.
Tout être humain, quels que soient sa classe sociale, son rang, son instruction,
et même quel que soit son péché, est appelé à être fils de Dieu.
Joseph Cardjin, fondateur de la JOC, disait: «Un jeune travailleur est un fils de Dieu.»
Un ami traduisait cela en disant:
«Nous sommes des « sans-dessein » souvent, mais des fils de Dieu toujours.»
C’est pour signifier cela que Jésus mange souvent avec des pécheurs publics,
les publicains notamment, au risque de se faire traiter de glouton et d’ivrogne;
qu’il se laisse baigner les pieds par le parfum d’une prostituée,
au risque de scandaliser les bien-pensants!
Heureux seras-tu!
Quelle question pour nous, disciples de Jésus, des années 2000?
Qui invitons-nous à nos repas?
Nos parents, nos amis qui nous rendront le souper qu’on leur a offert…
et non des voisins pauvres qui ne pourront peut-être pas nous inviter?
Des connaissances respectables qui nous honorent,
mais non ce compagnon de travail qui manque un peu d’éducation?
Qui est véritablement intégré, reconnu dans notre société?
Les gens productifs, instruits, tous ceux qui réussissent,
même s’il ont, pour réussir, exploiter les autres sans trop de scrupules?
Quelle place notre société réserve à qui n’a même pas une 3e année d’école?
Une société qui accepte trop facilement d’assister financièrement les démunis
plutôt que de s’efforcer de donner du travail à tous, est-elle vraiment chrétienne?
Rappelons-nous la terrible vérité que Félix Leclerc énonçait ainsi:
«La meilleure façon de tuer un être humain, c’est de le payer à ne rien faire.»
La vraie misère n’est-elle pas de ne plus se sentir utiles, reconnus?
«Une femme pauvre m’a dit ces mots que j’ai retenus:
« La plus grande douleur des pauvres, c’est que personne n’a besoin de leur amitié.
On vient chez nous, on s’assoit sur le coin d’une chaise,
on dépose de quoi poursuivre notre misère quelques jours
et puis on s’en va tranquillement [à la montagne ou à la mer].
Mais personne ne croit que, nous les pauvres, on a quelque chose à donner …
que nous aussi nous éprouvons le besoin de donner.
Personne ne croit à notre dignité et c’est cela notre plus grande blessure ».»
(Maurice Zundel, in Nouveau Dialogue #120, p. 27)
Qui a sa place dans nos assemblées eucharistiques: le Repas du Seigneur?
Les divorcés-remariés? Les assistés sociaux? Les homosexuel-les?
Et une place telle qu’ils se sentent vraiment accueillis, respectés, aimés.
Nos assemblées sont-elles sans protocole et sans rang d’honneur pour les riches?
La question s’est posée très vite dans les communautés chrétiennes.
La Lettre de Jacques (Jc 2,2ss) le dit déjà dès les premières années du christianisme:
Mes frères, s’il entre dans votre assemblée un homme aux bagues d’or, magnifiquement vêtu;
s’il entre aussi un pauvre vêtu de haillons;
si vous vous intéressez à l’homme qui porte des habits magnifiques et lui dites:
«Toi, assieds-toi à cette bonne place!»
et si vous dites au pauvre:
«Toi, tiens-toi debout!» ou «Assieds-toi là-bas, au pied de mon escabeau!»,
n’avez-vous pas fait une discrimination?
N’y a-t-il pas un fossé encore aujourd’hui entre les chrétiens et les plus pauvres de notre société?
Qu’est-ce que les gens très pauvres pensent de notre Église?
Est-ce qu’ils ne s’y sentent pas un peu étrangers?
Faire ainsi une discrimination entre les fils et les filles de Dieu,
c’est non seulement mal traiter son prochain
mais c’est aussi, dit Jésus, se priver du vrai bonheur.
Le bonheur se trouve dans la gratuité car il est dans le véritable amour, dans la vraie fraternité:
«Apprends à donner sans compter.
Heureux seras-tu car cela te sera rendu à la résurrection des justes.
Et puisqu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir,
ta joie sera décuplée lorsque tu permettras à l’autre de te donner.»
Citons encore Pierre-Yves Émery:
«Renoncer non pas au besoin de grandeur mais à l’illusion de le combler soi-même,
c’est se reconnaître en même temps fait pour Dieu (en ce sens que Dieu seul peut nous combler)
et fait pour les autres
(en ce sens que Dieu nous comble personnellement à l’intérieur d’une communauté fraternelle).
Et c’est ce que Jésus appelle « s’abaisser ».» (Ibid., p. 93)
Ce récit est loin d’être de simples « propos de table », « des conversations de salon ».
Il s’agit ici de la vraie mesure de l’amour, de la possibilité d’aimer ou de ne pas aimer.
Il s’agit du rôle de l’Église, de sa communauté,
de ce qu’elle doit être pour être signifiante de l’amour de Dieu.
Il s’agit finalement de la mesure de notre bonheur et de notre bonheur éternel.
La joie que Dieu veut nous donner sera toujours
au-delà de tout ce que nous pourrons mériter;
au-delà de tout ce que nous pourrons espérer.
La relation vécue avec notre prochain sera la mesure de notre joie éternelle.
Si nous sommes habitués à tout calculer de ce que nous donnons
et de ce que nous recevons, notre coeur ne sera pas habitué à vivre la gratuité de Dieu.
Il ne pourra pas se laisser « éclater » aux dimensions infinies de l’amour divin.
Le repas a une dimension sacrée:
il doit être un temps fort de cette communion
que nous sommes appelés à vivre avec Dieu et entre nous.
Le repas du Seigneur, notre Eucharistie, doit en être le signe chaque dimanche,
et il le sera si nous y vivons le conseil de Paul (Ph 2,2-3):
Ayez un même amour, un même coeur, recherchez l’unité.
Avec humilité estimez les autres comme supérieurs à vous.
C’est à la table de vie que je désire m’attabler pour l’éternité.
Sois mon guide, Jésus, sur les routes de l’accueil de tous:
pauvres, estropiés, malades, marginalisés.
Dessine-moi un coeur rempli de ta propre humilité
et je saurais enfin aimer.
Délivre-moi, et je saurais aimer. Amen!
Georges Convert
»»» Questions
1. Pourquoi est-ce que je recherche un style de vie où je me donne toujours la première place?
2. Comment puis-je accueillir les plus pauvres à ma table?
3. Dans quel esprit dois-je les accueillir? Pour Jésus, que signifie: s’humilier?
4. Suis-je attentif à l’accueil des autres; dans ma maison, dans ma vie, dans ma communauté chrétienne?
5. Qu’est-ce qui m’empêche de m’ouvrir à l’amour, à l’amitiés des autres personnes?
6. Qu’est-ce qui, dans nos liturgies, est mondain?
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