23e dimanche ordinaire (année B), selon l’écrit de Marc 7, 31-37
31 De nouveau Jésus sort des territoires de Tyr et Sidon
et va vers la mer de Galilée au milieu du territoire des Dix-villes.
32 On lui amène un sourd qui parle aussi avec difficulté.
On le supplie de lui imposer la main.
33 L’ayant pris à l’écart, loin de la foule,
il met ses doigts sur ses oreilles,
et ayant craché de la salive il lui touche la langue.
34 Ayant levé les yeux vers le ciel, il soupire et lui dit:
Ephphata!, ce qui signifie: Ouvre-toi!
35 Aussitôt ses oreilles s’ouvrent,
le lien de sa langue est délié,
et il parle correctement.
36 Il leur recommande de n’en parler à personne.
Cependant, plus il leur recommande,
encore plus ils proclament.
37 Ils sont excessivement frappés et disent:
Il a fait toutes choses bonnes:
il fait entendre les sourds et parler les non-parlants.
—
Le commentaire du pain sur la table,
par Georges Convert.
Il fait entendre les sourds et parler les non-parlants.
Voilà des mots qui résonnent familièrement à nos oreilles.
Mais nous sommes peut-être un peu déconcertés par ce récit,
par un miracle de Jésus dont les gestes sont un peu insolites
et qui semble ne pas faire appel à la foi du malade.
Quel sens a cet épisode dans le récit de Marc et quel sens peut-il avoir pour nous aujourd’hui?
La place de ce texte dans le récit de Marc
Dans le récit de Marc, nous sommes dans une section
qui va de la visite à Nazareth (6,1-6)
jusqu’à la profession de foi de Simon-Pierre à Césarée de Philippe (8,27-30).
Cette profession de foi est le point culminant de la prédication de Jésus en Galilée.
Ensuite c’est la montée vers Jérusalem et la passion qui commence.
Deux éléments ressortent de cette section:
- le premier élément rappelle l’incompréhension de beaucoup vis à vis de Jésus,
son village natal et sa parenté n’ont pas foi en lui (cf. 6,6);
ses disciples eux-mêmes sont souvent sans comprendre (cf. 8,17.21). - le second élément concerne les contacts de Jésus avec des païens:
Jésus se trouve souvent dans des territoires païens limitrophes à la Galilée:
à Tyr (le Liban actuel) Jésus guérit la fille d’une syro-phénicienne;
puis dans la Décapole (la Transjordanie) il guérit un sourd (notre texte);
le second repas des pains qui suit concerne très probablement les païens.
Ces deux éléments devraient éclairer notre texte.
On lui amène un sourd…
La manière dont Jésus va ouvrir les oreilles et délier la langue du bègue est
la manière habituelle dont les médecins de l’époque opéraient.
La salive était alors considérée comme source de vie et proche de la parole.
Les récits païens de miracles relatent de semblables pratiques
et «donnent souvent beaucoup de place à la technique de la cure:
fuite des regards curieux, manipulations, usage de la salive,
regard vers le ciel, soupir profond, paroles en langue étrangère…»
(J. Delorme, Assemblées du Seigneur #54, p. 34).
Tacite raconte la guérison d’un aveugle opéré par l’empereur Vespasien
en humectant de salive ses orbites.
Le schéma des récits païens a pu être emprunté pour décrire cette guérison.
On n’y parle pas de la foi du malade -comme souvent dans les guérisons-
mais on note plutôt la foi de ceux qui amènent le sourd: on le supplie de lui imposer la main.
On retrouve une description semblable pour la guérison de l’aveugle de Bethsaïde:
On lui amène un aveugle et on le supplie de le toucher.
Prenant l’aveugle par la main, il le conduisit hors du village.
Il mit de la salive sur ses yeux, lui imposa les mains… (8,22ss).
Dans le récit de Jean, une autre guérison d’aveugle se fait aussi avec la salive:
Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle (Jn 9,6);
À travers ces gestes physiques très concrets passe la force spirituelle de Jésus.
Le regard qu’il lève vers le ciel indique qu’il fait appel à l’Esprit de Dieu
pour lui donner une force de guérison.
Le soupir «traduit un mouvement profond d’appel à la force divine,
avec la conscience d’une opposition puissante à vaincre» (ibidem, p. 35).
L’unique parole rapportée (Ephphata) se trouve en araméen, la langue de Jésus.
Dans ce miracle accompli en terre païenne,
l’araméen peut évoquer les formules mystérieuses des guérisseurs païens.
Il a fait toutes choses bonnes: il fait entendre les sourds et parler les non-parlants.
Cette acclamation semble inspirée d’un texte d’Isaïe, dans sa traduction grecque:
Voici que votre Dieu va rendre la justice. Il va venir et vous sauver.
Alors les yeux des aveugles s’ouvriront et les oreilles des sourds entendront.
Alors le boiteux bondira comme le cerf
et la langue de ceux qui parlent avec difficulté sera claire (35,4-6).
Cette référence à Isaïe serait aussi suggérée par le fait
que le mot utilisé pour dire le handicap de la parole
n’est utilisé dans la Bible que deux fois: dans ce texte d’Isaïe et dans notre récit.
Il s’agit de mogilalos qui décrit un bègue «qui parle avec difficulté» plutôt qu’un « muet ».
Ce passage d’Isaïe était familier aux premières communautés chrétiennes.
Il était déjà en arrière-plan de la réponse de Jésus aux envoyés de Jean le Baptiste:
Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:
les aveugles voient, … les lépreux sont purifiés et les sourds entendent,
les morts ressuscitent (Mt 11,4-5).
Par ces gestes, non seulement Jésus est un prophète, mais il est l’Envoyé de Dieu,
le Prophète semblable à Moïse qu’on attendait alors comme le messie.
Dieu accomplit sa promesse et refait en quelque sorte sa création
en recréant l’être humain comme un être nouveau.
C’est ce que suggère aussi l’acclamation de la foule: Il a bien fait toutes choses.
On peut penser au texte de la Genèse (1,31) qui décrit la création:
Toutes les choses qu’il avait faites, Dieu vit qu’elles étaient très bonnes.
Jésus leur recommande de n’en parler à personne…
Nous retrouvons ici encore ce qu’on appelle le secret messianique.
Pourquoi Jésus demande-t-il le silence sur ses actes?
On peut répondre que ce silence s’imposait
pour ne pas courir le risque d’être arrêté par les autorités romaines.
En effet, si la foule reconnaît dans les gestes de Jésus ceux du messie,
alors Jésus peut être jugé comme usurpateur d’un pouvoir
qui est alors entre les mains de l’empereur de Rome.
Les autorités juives peuvent craindre un soulèvement populaire autour de Jésus:
les Romains réprimeront le soulèvement
et enlèveront les restes de pouvoir qu’ils ont laissés aux grands-prêtres.
Mais pour Jésus la crainte est dans l’ambiguité de la figure du messie.
Dans le récit de Marc, cette demande de silence se retrouve pour 4 miracles:
le lépreux (1,44), la fille de Jaïre que Jésus ramène de la mort à la vie (5,43),
le sourd-bègue et l’aveugle (8,26).
Or ces 4 miracles correspondent aux oeuvres du messie
dans la réponse de Jésus aux envoyés du baptiste.
Certes il est le messie, mais pas à la manière dont les foules le perçoivent.
Il ne veut aucunement prendre un pouvoir politique.
Il veut opérer un changement de mentalité dans la façon de vivre:
Dieu est le Père infiniment miséricordieux et non pas le juge tout-puissant qui punit;
et chaque humain peut vivre de cet amour de bonté généreuse qui est celui de Dieu,
à la seule condition de se laisser aimer par Lui.
Voilà la foi de Jésus qu’il veut partager à ceux qui deviendront ses disciples.
Mais cet amour inconditionnel conduit au pardon, sans cesse donné et redonné.
C’est du visage d’un Dieu humble, pauvre et vulnérable que Jésus veut témoigner;
cela ne peut coïncider avec l’image d’un messie puissant
qui est chargé d’exterminer les méchants pour établir le règne de Dieu.
Tant que ce visage de Dieu ne sera pas reconnu, Jésus demande le silence.
C’est seulement lorsqu’il sera sur le point d’être livré à la croix
que Jésus pourra accepter les cris de louange de la foule:
Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur-Dieu!
Béni soit le règne qui vient! (Mc 11,9-10).
C’est le crucifié par amour qui témoigne du vrai visage de Dieu.
Et le disciple doit comprendre cela et marcher sur les pas de son Maître:
Si quelqu’un veut être mon disciple,
qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive (Mc 8,34).
Or c’est cela que n’ont compris ni les chefs juifs ni même les disciples.
D’où la demande de Jésus de garder le silence sur les gestes qu’il accomplit.
Leur coeur est endurci…
Plusieurs fois, dans les chapitres 6 à 8, revient le thème de l’incompréhension.
Ils n’avaient rien compris à l’affaire des pains. Leur coeur était endurci (Mc 6,52).
Les disciples et les foules n’ont pas saisi le vrai sens du repas des pains multipliés,
qui renvoie au besoin de la parole de Dieu comme nourriture spirituelle.
Le récit de Jean sera plus explicite dans le discours à la synagogue de Capharnaüm:
Amen, je vous le dis, ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez,
mais parce que vous avez mangé des pains à satiété.
Il faut vous mettre à l’oeuvre pour obtenir non pas cette nourriture périssable,
mais la nourriture qui demeure en vie éternelle,
celle que le Fils de l’homme vous donnera,
car c’est lui que le Père, qui est Dieu, a marqué de son sceau (Jn 6,26-27).
Les chefs juifs et les Pharisiens contestent la façon qu’a Jésus
de vivre les préceptes religieux, notamment ceux qui concernent le pur et l’impur:
Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus:
«Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas
conformément à la tradition des anciens,
mais prennent-ils leur repas avec des mains impures?
Il leur dit: «Ésaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, car il est écrit:
Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi;
c’est en vain qu’ils me rendent un culte
car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes.
Vous laissez de côté le commandement de Dieu
et vous vous attachez à la tradition des hommes» (Mc 7,5-8).
Dans la vie quotidienne le pur et l’impur créait une barrière entre Juifs et païens.
L’enseignement de Jésus faisait comprendre que tous les aliments sont purs
et cela devait enlever la barrière des interdits alimentaires
et ouvrir ainsi le peuple de Dieu aux païens.
«Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui,
mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur.»
Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule,
ses disciples l’interrogeaient sur cette parole énigmatique.
Il leur dit: «Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? (Mc 7,15-18).
Les Pharisiens cherchent aussi à tendre des pièges à Jésus,
ne voyant pas dans ses gestes des signes divins (Mc 8,11-12):
Les Pharisiens lui demandent un signe qui vienne du ciel.
Poussant un profond soupir, Jésus dit: «Pourquoi cette génération
demande-t-elle un signe?
Amen, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette génération.»
À plusieurs reprises, Jésus déplore l’incompréhension de ses disciples:
Jésus leur faisait cette recommandation:
«Attention! prenez garde au levain des Pharisiens et à celui d’Hérode.»
Ils se mirent à discuter entre eux parce qu’ils n’avaient pas de pains.
Jésus leur dit: «Pourquoi discutez-vous parce que vous n’avez pas de pains?
Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas? Avez-vous le coeur endurci?
Vous avez des yeux: ne voyez-vous pas? Vous avez des oreilles: n’entendez-vous pas?
Ne vous rappelez-vous pas, quand j’ai rompu les 5 pains pour les 5000 hommes,
combien de paniers pleins de morceaux vous avez emportés?» Ils disent: «12».
«Et quand j’ai rompu les 7 pains pour les 4000 hommes,
combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées?» Ils disent: «7».
Et il leur disait: «Ne comprenez-vous pas encore?» (Mc 8,15-21).
Comme les Pharisiens, les disciples sont atteints par le mal
qui frappait le peuple de Dieu et que les prophètes ont souvent dénoncé:
Écoutez donc ceci, peuple borné et sans cervelle:
«Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas» (Jr 5,21).
Or la tâche du messie -selon les prophètes- sera d’ouvrir les yeux et les oreilles:
Les yeux de ceux qui voient ne seront plus fermés,
les oreilles de ceux qui entendent seront attentives.
Les gens pressés réfléchiront pour comprendre
et la langue de ceux qui bégayent parlera vite et distinctement (És 32,3-4).
Malheureusement Pharisiens et disciples s’imaginent parler à Dieu correctement:
ils se considèrent comme des gens « voyant Dieu ».
Ils s’appuient sur leur fidélité à la Tora pour penser qu’ils méritent ainsi l’amour de Dieu.
En s’appuyant ainsi sur leurs mérites, ils vivent un lien d’amour qui est illusoire.
Car l’amour n’est vrai que lorsqu’il se fonde sur une totale gratuité.
L’amour n’est vrai que lorsqu’il est accueil de l’autre, pur accueil.
L’amour n’est vrai que lorsqu’il se vit dans l’humilité,
dans la reconnaissance de notre pauvreté à aimer,
dans la conviction intime que nous sommes toujours en manque continuel d’amour.
Celui qui croit aimer en vérité, celui-là s’empêche de grandir dans l’amour véritable,
ce qui ne peut se faire qu’en accueillant sans cesse le pardon d’amour de l’autre
et d’abord le pardon d’amour de cet Autre qu’est Dieu-Père.
On retrouve cette même idée dans les échanges entre Jésus et les Pharisiens:
C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde:
pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles (Jn 9,39).
Celui qui n’a pas conscience qu’il y a une distance
entre son désir de Dieu et la réalisation de son désir,
celui-là ne vient pas chercher la lumière et demeure dans sa cécité et sa surdité.
Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché.
Mais à présent vous dites «Nous voyons»: votre péché demeure (Jn 9,41).
Ephphata! Ouvre-toi!
Dans la Bible, le coeur qui comprend est toujours associé à l’oreille attentive
car la pensée de Dieu nous est communiquée par une parole qu’il faut écouter.
Je leur donnerai un coeur et des oreilles qui entendent, dit Dieu
(Ba 2,31).
La foi est toujours considérée comme une ob-éissance (du verbe ouir=écouter):
une écoute de la Parole qui aboutit à une mise en pratique de cette parole.
Jésus dira à ceux qui écoutent son Évangile mais ne le pratiquent pas (Mt 7,21):
Il ne suffit pas de me dire Seigneur! Seigneur!, il faut faire la volonté de mon Père.
Celui qui sans cesse se remet à l’écoute de Dieu, peut dire à Dieu
comme le fait le psalmiste: Tu m’as creusé l’oreille (Ps 40,7).
Pour lui se réalise ce que disait le prophète Isaïe:
Le Seigneur-Dieu m’a donné une langue de disciple.
Chaque matin il éveille mon oreille.
Pour que j’écoute, comme les disciples, le Seigneur-Dieu m’a ouvert l’oreille (Is 50,4-5).
C’est ce qui arrive à ce païen par l’intermédiaire de Jésus,
celui qui vient de Dieu et agit en son nom.
Une fois ses oreilles ouvertes, sa langue est libérée…
Il devient alors capable de dire la parole écoutée, entendue.
« Dire » la parole, en son sens fort qui est de « faire » cette parole,
de la réaliser, de la rendre réelle.
Il dit et cela fut, nous dit la Genèse à propos de la création de toutes choses par Dieu.
Le sourd parle maintenant correctement…
ce qu’on pourrait traduire: Il fait maintenant toutes choses selon la Règle de Dieu.
La Règle divine est ce qui nous fait agir droitement, correctement,
puisque les mots règle et correct ont la même racine « rek » qui signifie « droit ».
Marcher dans la droiture, dans le droit chemin de Dieu, c’est être sauvé;
c’est trouver le chemin du bonheur (Mt 5,6):
Ils sont sur le droit chemin du bonheur ceux qui sont affamés et assoiffés de droiture.
Le rôle des païens dans cet accueil de l’Évangile.
Alors que des membres du peuple de Dieu (Pharisiens et disciples) ont le coeur endurci,
c’est un païen qui va accueillir Jésus et se laisser guérir par lui.
Cela s’insère dans un ensemble où Jésus a contact avec des païens.
Certes, Jésus a dit qu’il est venu d’abord pour les membres d’Israël:
Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 15,24).
À la femme païenne qui demande la guérison de sa fille, il déclare même:
Laisse d’abord les enfants (c’est-à-dire les Juifs) se rassasier (Mc 7,27).
Mais il guérira sa fille, comme il guérit le fils du centurion romain (cf Mt 8,5-13).
Et il fera la louange de la foi de la cananéenne et du centurion:
«Femme, ta foi est grande! Qu’il t’arrive comme tu le veux!»
Et sa fille fut guérie dès cette heure-là (Mt 15,28).
Jésus fut plein d’admiration et dit à ceux qui le suivaient:
«Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi (Mt 8,10).
Le second repas des pains s’inscrit aussi dans ce contexte païen.
Il y en a plusieurs indices:
en effet, il y a sept pains et on remplira 7 corbeilles.
Or le chiffre sept, symbole de la plénitude
(ou des 70 nations qui formaient le monde connu à cette époque),
remplace le chiffre douze, symbole des 12 tribus d’Israël, dans le premier repas.
Jésus dit aussi que beaucoup, dans la foule, sont venus de loin (Mc 8,3).
Or cette expression peut désigner les gens venant de régions païennes,
comme en Isaïe (60,4): tes fils viennent de loin,
et en Tobie (13,11): des peuples viendront de loin.
Alors, y-a-t-il eu deux repas des pains multipliés?
Ou bien le second récit est-il une adaptation du premier
qui aurait été faite plus tard par des communautés chrétiennes d’origine païenne?
En tous cas, cela traduit l’annonce faite par Jésus que
beaucoup viendront du levant et du couchant (des terres païennes)
pour prendre place au festin dans le royaume de Dieu (Lc 13,29).
Enfin remarquons que, dans le récit de Marc (15,39), au pied de la croix,
c’est un païen qui dit sa foi en Jésus le crucifié: Cet homme était fils de Dieu.
Et, peu après la guérison de l’aveugle, Pierre confesse: Tu es le messie (Mc 8,29).
Or, ces deux affirmations sont proches.
En effet, dans la tradition de la Bible, le messie est le fils bien-aimé de Dieu.
Après avoir été offert aux Juifs, l’Évangile sera donc offert aux païens,
comme le confirmera l’envoi des disciples par le Ressuscité:
Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création (Mc 16,15).
Paul sera l’artisan infatigable de cette ouverture aux païens,
et cela se traduit dans ses lettres adressées à des chrétiens venus du paganisme:
Je n’ai pas honte de l’Évangile. Il est puissance de Dieu pour sauver qui lui fait confiance:
le Juif d’abord, puis le Grec (Rm 1,16).
Autrefois vous étiez sans messie, étrangers aux alliances de la Promesse
…mais maintenant, en Jésus, vous qui jadis étiez loin,
vous avez été rendus proches par le sang du Christ (Ép 2,12-13).
C’est que, pour Jésus, l’amour de Dieu ne saurait être limité à un peuple.
Il est universel, destiné à tous les humains.
Si Jésus s’est d’abord consacré à donner son message aux gens d’Israël,
l’heure est maintenant venue de s’adresser aux païens.
Le règne de Dieu doit se traduire dans une Église sans frontières,
ouverte à tous ceux qui accueillent l’amour miséricordieux et gratuit du Père divin.
Le prototype du règne de Dieu sur terre voulu par Jésus
doit être composé d’humains de toutes races et de toutes conditions.
Le récit de Matthieu sur le jugement dernier (Mt 25,37ss) le dit clairement:
Devant le Fils de l’homme seront rassemblées toutes les nations…
Pour les disciples d’aujourd’hui,
cette guérison doit être le modèle de la guérison de leur propre coeur.
Les gestes rituels du baptême, autrefois, comprenaient ce toucher des oreilles,
cet usage de la salive et cette injonction: Ephphata!
Pour vivre selon l’Esprit de Jésus, il est toujours nécessaire
de manger et boire les paroles du Maître à l’écoute de l’Évangile (ouvrir ses oreilles),
de les répéter pour les inscrire dans la mémoire profonde de l’être (ouvrir son coeur),
afin de pouvoir les dire, les faire, les réaliser (délier sa langue).
La découverte de la véritable identité de Jésus, se fait dans un lent cheminement.
Comme le dira la parabole de la semence et de la terre,
nous sommes souvent empêchés d’écouter ou de dire ou de faire la parole:
parce que nous manquons de racine, parce que l’épreuve nous fait tomber,
et que soucis du monde et séduction des richesses étouffent la Parole (Mt 13,21-23).
Madeleine Delbrêl nous traduit cette parabole du semeur:
«L’amateurisme est notre plus grand risque par rapport à la parole du Seigneur,
parce que, gardant un certain contact avec elle, nous avons « bonne conscience ».
Dans une vie qui doit sans cesse naître et renaître de cette parole,
y trouver sa fermeté et sa force, en recevoir chaque jour,
non seulement des exemples mais un itinéraire immédiat,
la parabole du semeur doit être un avertissement continuel.
Être un « amateur » par rapport à la parole du Seigneur, c’est d’abord la prendre et la laisser;
la laisser hors de notre esprit, assez éloignée de nous; sur le chemin
pour que sa lumière entrevue n’influence pas nos journées, nos attitudes, nos actes.
Être un « amateur » c’est encore, pour la parole du Seigneur, «en prendre et en laisser»;
en «laisser tomber». … Ou bien encore avec la simple pente de notre paresse:
on lit ce qu’on a sous les yeux ou sous la main, «à la sauvette»,
et l’on referme sa Bible ou son Évangile avec le sentiment du devoir accompli.
Être un « amateur » c’est enfin et c’est peut-être surtout faire de la parole du Seigneur
une « conversation » sur lui, même avec lui, et non pas une « conversion »,
conversion pour laquelle nous est dit tout ce que dit le Seigneur»
(La joie de croire, Seuil 1968, p. 226).
Seigneur! ouvre mon oreille et ouvre mon coeur… et ma langue sera déliée!
Georges Convert
»»» Questions
1. Quel sens a cet épisode dans le récit de Marc?
2. Pourquoi Jésus demande-t-il de ne parler à personne de cette guérison?
3. Quel est le sens profond de la parole Ephphata? Que nous demande-t-elle de faire?
4. Quelle doit être l’attitude des chrétiens face aux non-chrétiens?
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