Regards croisés du mercredi 26 juillet 2023
Matthieu 13,44-52
Un royaume pas comme les autres
L’évangile de cette semaine met un terme à cette série de paraboles présenté par Matthieu au chapitre 13. Elles cherchent à mettre un peu de relief sur l’image du Royaume des Cieux, dont nous parlent abondamment les évangiles. Précédemment, ces paraboles nous ont parlé des différentes qualités de terre qui reçoivent les semences déployées par le Maître sur les terres de culture. Il a aussi eu une présentation imagée des champs de labour où poussent côte à côte le blé et l’ivraie. Puis d’autres paraboles ont comparé le Royaume à la graine de moutarde et à la levure qui, toutes les deux fragile et minuscule, sont promises à un grand déploiement. Aujourd’hui, le texte de Matthieu nous présente trois nouvelles interprétations du Royaume : celle du trésor caché dans un champ, celle de la perle de grande valeur et celle de la pêche au filet.
Le Royaume n’est pas une nature morte
Toutes ces paraboles nous parlent du Royaume. Elles projettent des images symboliques qui veulent illustrer différents aspects de celui-ci. Ce Royaume, c’est la dynamique qui porte la longue marche du maître de Nazareth dans son parcours à travers les villages de Galilée. Une image me vient en tête. Celle du peintre impressionniste Paul Cézanne. Combien de fois a-t-il peint la montagne de Sainte-Victoire ? Je n’en ai aucune idée, mais ses représentations sont nombreuses. Pour lui la montagne de Sainte-Victoire ne représentait certainement pas un objet inerte. Son regard, sa palette de couleurs, l’ondulation de ses lignes de fuite, suggère davantage qu’il se confrontait bel et bien à une nature vivante, non à une nature morte. C’était justement pour bien décrire cet écoulement de vie qu’il lui fallait la montrer sous ses différents angles, dans différentes saisons, sous ses différentes couleurs. Un seul regard ne peut pas tout saisir, comme une seule parabole ne peut pas tout expliquer. Le Royaume ne peut pas ne pas être une expression du vivant. Il nécessite donc une multitude d’approches si l’on cherche à en faire un portrait qui arrive assez bien à saisir ce qu’il représente pour l’humain.
Jetons-y un nouveau regard. Le premier qui tombe sur un trésor est peut-être un travailleur journalier qui laboure une terre. Il n’était pas particulièrement à la recherche d’un trésor. Celui-ci lui est tombé dessus! Alors que le commerçant cherche et cherche, il n’est pas dit depuis combien de temps, avant de découvrir la précieuse perle? Ce sont-là deux réalités qui nous parlent de la vie, de sa texture, de sa flamboyance, de sa diversité comme de son injustice. Deux angles différents qui nous parlent du saut immense entre la réalité d’avant et d’après la découverte. Ce qui est évident pour moi, c’est que l’existence de chacun est magnifiée. Signe du texte, il est souvent question de joie pour parler de cet état de plénitude.
La parabole de la pêche et du filet, un objectif autre
Au contraire, la parabole de celui ou ceux qui jettent un filet dans les eaux pour y trouver des poissons est un peu différente. J’ai l’impression que l’on n’y parle plus du Royaume comme tel, mais de ce que peut être l’implication de la venue de celui-ci. Cette présentation est intrigante pour moi. Les premières figures présentées par Matthieu qui entre en contact avec le Royaume semblent exaltées. Ce n’est pas le cas ici, cette pêche ne nous dit rien de cette rencontre. Ce dont nous parle la parabole se rattache à l’histoire qui pourrait accompagner la venue du Royaume et non du Royaume lui-même. On peut imaginer que ces poissons pris dans les mailles du filet sont l’illustration de femmes et d’hommes de la création. Cette exaltation se change pour plusieurs en un rejet particulièrement violent: la fournaise. Peut-être le but de la parabole des pécheurs qui jettent le filet est différent des deux propositions précédentes. Une tentative d’explication serait de dire que le Royaume est proposé, comme Jésus nous propose de donner une direction à nos quêtes, un chemin à suivre. Toujours, demeure la liberté humaine. Nous pouvons nous poser la question sur le sens du mot liberté utilisé ici. Il faut se rappeler que le Tout Autre est créateur et non magicien. L’histoire du XXe siècle est chargée de nous le rappeler. Le texte ne peut qu’être le reflet de la véracité de la nature humaine. Ce texte ne dicte pas l’histoire, il faut le lire comme les propositions précédentes qui sont des images tirées de constructions littéraires porteuses d’une fonction symbolique.
C’est la rencontre qui donne naissance à tout phénomène
Ce souffle dont nous parle Jésus ne se matérialise que quand il entre en interaction avec un être disponible à cet échange. Si cette interaction ne se concrétise pas, on ne mentionnera pas le souffle, c’est comme s’il était inexistant. On peut penser que c’est le même phénomène avec le Royaume. S’il ne se produit aucune interaction entre ce que propose cet univers et l’humain, il ne peut y avoir de Royaume. Je tire cette image de la lecture du livre du physicien italien Carlo Rovelli, Sept brèves notions de physique. On y apprend que « Heisenberg (auteur de la théorie quantique) suppose que les électrons n’existent pas tout le temps, seulement lorsque quelqu’un les regarde ou, mieux, lorsqu’il interagit avec quelque chose d’autre. Il se matérialise dans un lieu lorsqu’il heurte quelque chose d’autre… Lorsque personne ne le dérange, l’électron n’est dans aucun lieu précis. Il n’est nulle part » (p. 25). Je pense que ce vulgarisateur scientifique pourrait écrire une parabole sur l’esprit, qui, privé de réceptacle, privé de relation, pourrait ne se retrouver « dans aucun lieu précis ». Nous pourrions dire que, comme l’amour sans relation, il ne peut pas exister.
Que veut dire: « tout sacrifier à la connaissance de Jésus»?
« Pour Saint-Exupéry, ce qui faisait que la rose [était] unique,
c’était le temps que le petit prince avait passé avec elle.
«On ne connaît que ce que l’on apprivoise.
Les humains n’ont plus le temps de ne rien connaître.
Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands.
Si tu m’apprivoises, tu seras pour moi unique au monde.»
Jésus ne sera unique pour moi
que si je prends le temps de tisser des liens avec lui.
Il y a quelques années, un journaliste français avait été pris en otage au Liban. Sa détention lui fait découvrir l’Évangile.
Il réfléchit alors sur ce qu’était sa vie passée:
«Tu manges, tu bois, tu achètes et tu ne parles que de futilités.
Est-ce vraiment cela la vie?»
La prison lui donne le temps de lire l’Évangile et peu à peu il va connaître Jésus. «En trouvant le Christ, dira-t-il plus tard, j’ai trouvé un idéal de vie.
Maintenant je vis vraiment le bonheur,
en essayant de nourrir mes journées de petits trucs tout cons: comme de pardonner.»
Georges Convert
Étienne Godard
Laisser un commentaire