Une invitation à sauter la clôture…
Dans ce récit de l’évangile de Marc, on découvre Jésus qui, après l’épisode de la tempête apaisée, revient sur l’autre rive de la mer de Galilée, très probablement dans la ville de Capharnaüm. Marc nous présente deux histoires imbriquées l’une dans l’autre: celle de la fille de Jaïrus, chef de synagogue — nous dit le texte —, et celle de la femme dont il n’est donné aucune identité sauf qu’elle souffre depuis 12 ans d’une perte de sang et qui vient toucher Jésus. Une fille et une femme que tout sépare: d’un côté la fille de Jaïrus, notable, probablement aisé, qui participe à l’entretien de la synagogue et qui a une famille, qui est bien entouré, avec des serviteurs. De l’autre, une femme complètement démunie qui a donné tout ce qu’elle avait pour guérir, ses pertes de sang l’empêchant de donner la vie et la rende impur aux yeux de la loi religieuse. Toutes les personnes qu’elle touche deviennent impurs; socialement, c’est une exclue. Le texte ne la nomme pas, elle n’a pas d’identité.
Sortir de soi
Jaïrus vient s’agenouiller devant Jésus. Deux monde qui s’opposent. L’espérance, la confiance qui habite Jaïrus le fait sortir de son univers, le projette hors de son quotidien, le fait traverser une muraille de sens qui l’amène à venir demander l’intervention de Jésus. Seule une grande espérance nous permet de sauter ainsi des barrières sociales qui nous apparaissent, sinon, infranchissable. On assiste à la même détermination chez la femme qui souffre de pertes de sang. Le texte de Marc nous apprend qu’elle a entendu parler de Jésus. Un désir intempestif la pousse à se faire près de lui et ce malgré les barrières qui les opposent. D’abord, c’est une femme, donc un citoyen de second ordre dans cette société juive du premier siècle. De plus, elle sait qu’elle est rituellement impure et que toute personne qu’elle touche est rendue impure. Comme Jaïrus, elle est habité d’une grande soif, d’une grande espérance qui l’amène à faire fi des barrières que lui imposent sa condition. Cette force l’amène à sortir de l’anonymat de la foule pour gagner une identité propre en entrant en dialogue avec Jésus, en devenant sujet de sa parole.
Des identités retrouvées
Jésus va à la rencontre de la fille de Jaïrus. Il la rencontre, étendue dans sa chambre, alors que toute la maisonnée la croit décédée. En la touchant, Jésus la ramène à la vie. Il demande aussitôt qu’on lui donne à manger. On connaît bien l’importance de la table pour Jésus. Avoir accès à la table, c’est prendre sa place dans la communauté. C’est d’y être accepté. C’est la possibilité d’entrer de nouveau en relation. Cette jeune fille a douze ans. C’est l’âge de la puberté. À l’époque, c’est un âge pour envisager le mariage. C’est un âge pour à son tour donner la vie. C’est une identité toute nouvelle qui lui est donnée. Elle aussi est sujet de la parole de Jésus. Cette identité nouvelle, c’est le même avènement qui touche la femme guérie de sa perte de sang. Elle aussi est invitée à reprendre sa place dans la communauté. Elle est de nouveau à même d’avoir des enfants, de se marier, de fonder une famille. Elle nait à un sens nouveau.
Il faut prendre conscience d’une réalité incontournable du monde Juif du premier siècle de notre ère: la maladie physique est perçue comme étant en relation très étroite avec le péché. Cet attachement peut même remonter dans la même famille, à plusieurs génération. Comprendre cette relation, pour moi, donne encore plus de sens aux récits évangéliques. Je peux leur donner un surplus de sens et associer ces gestes de guérison posés par Jésus à des gestes de pardon, de miséricorde.
La place du corps
Au Relais Mont-Royal, nous avons décidé de donner un peu de place au corps dans nos liturgies. Nous déposons la croix de Taizé devant la table de la Parole, après le partage autour de l’évangile. Pendant les chants qui suivent le partage fait après la lecture de l’évangile de la semaine, les personnes sont invités à venir s’assoir ou s’agenouiller en touchant la croix, d’une main, de la tête, et d’y prier. C’est le corps qui s’exprime aussi ici dans le récit de Marc. La femme malade veut toucher le vêtement de Jésus. La jeune fille se « réveille » alors que Jésus la touche de sa main.
Dans ces deux récits de guérison qui nous sont présentés dans l’évangile de Marc, je suis marqué par le caractère physique des deux rencontres. Georges Convert écrit dans son commentaire
L’attitude du corps, la beauté du chant, l’ambiance créée par le décor, tout cela qualifie notre prière, « modèle » sa qualité. Ne négligeons-nous pas trop souvent ce corps, au point d’en souffrir souvent? Nous sommes trop mentaux (JE le suis en tous les cas). La foi en Jésus, le fils bien-aimé du Père, n’est pas d’abord une notion, une idée. Elle est essentiellement un contact, une connaissance intime…L’être humain est charnel et spirituel. L’un et l’autre.
Georges Convert
Étienne Godard
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