Regards croisés

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Une visitation à sens unique

On a parfois cette même impression quand nous retournons à la maison, dans notre village de naissance, après y avoir passé un bon moment de notre existence. Nous avons quitté ce lieu pour X raisons, pour trouver du travail, pour aller étudier, pour fonder une famille avec un amoureux, une amoureuse, qui vient d’ailleurs. Parfois aussi après avoir voulu quitter un milieu étouffant, quitter des parents avec qui nous n’avions pas beaucoup d’atomes crochus. Partir pour voir un peu le monde, connaitre autre chose, entendre des paroles différentes.

Jésus a quitté son village natal, sa famille, vers l’âge de 30 ans selon les récits évangéliques. Il a répondu à un appel, peut-on dire, puis est parti en quête, en réponse à cet appel. À la rencontre de Jean le Baptiste, il suit ses traces puis découvre l’objet de son appel. Ce sont les autres qui dorénavant se mettront à sa suite.

Jésus se promène, avec ses disciples, de village en village, sur différentes tribunes nous apprend l’évangéliste Marc. C’est parfois sur la place publique, parfois aux portes de la ville (Jésus à Capharnaüm, dans Marc au chapitre 1), souvent aussi à la synagogue. Tous sont invités à la synagogue. Le vendredi soir, c’est la liturgie du début du shabbat. Tout homme adulte peut y être invité pour lire un extrait du rouleau des écritures et le commenter. Dans cette grande tournée que fait Jésus, lui et sa troupe (accompagné de ses apôtres) s’arrêtent dans son village natal.

C’est le récit que nous conte Marc au tout début du chapitre 6 (versets 1-6). Cet épisode est repris par Luc et Matthieu, avec les variantes qui répondent à des prises de vue, des regards propres à chacun. C’est l’endroit où Jésus a passé presque toute sa vie. Ils sont nombreux à le reconnaître. On l’invite à venir lire et commenter le texte du jour à la synagogue. L’eau a coulé sous les ponts, une rumeur l’a précédée. « Mais c’est quand même notre Jésus à nous », se dit-on sur la route, « on l’a vu grandir, devenir charpentier, toute sa parenté habite toujours le village ». Si nous reportions cette rencontre aujourd’hui nous pourrions simplement entendre les commentaires à la table d’à côté… « avec tout son groupe, il en déplace de l’air! Pourtant, c’est bien le fils de Joseph, mais il a une drôle de manière de s’adresser à nous. On le connait nous autres, on l’a vu jouer avec nos enfants ».

Un rendez-vous manqué

Dans la synagogue, si on lit bien le texte de Marc, l’étonnement des personnes présentes devant la parole de Jésus passe assez rapidement au rejet. C’est le propre d’un prophète: il nous secoue, il nous remet en question, il nous amène ailleurs! Le village n’arrive pas à voir et accepter la transformation radicale qui a fait du charpentier une parole vivante qui appelle au changement. Un peu de jalousie en tous les cas, car il peut être difficile d’accepter cette invitation à la nouveauté, une invitation qui vient de son propre clan, de sa propre chair. Je cite une phrase que j’ai lue et dont je ne peux retrouver l’origine: « il y a incompatibilité entre la grandeur de Dieu et la modestie de ses origines humaines. »

Jésus et sa famille de sang: une dissonance

Plus tôt, dans l’évangile de Marc, il y a une confrontation entre Jésus et sa famille. Je cite le texte de Marc, que Georges Convert reprend aussi dans son commentaire :« Qui est ma mère? Et mes frères? » Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit: « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » (Mc 3,32-35). Pour Jésus, son clan, sa famille, c’est tous ceux et celles qui l’écoutent. Comme Maurice Zundel dirait, c’est une invitation à sortir de son déterminisme biologique pour accéder à une liberté spirituelle qui libère et qui met en relation. La psychologie l’affirme aussi, dans notre identité, nous avons besoin d’être confrontés à plusieurs visages.

Georges fait un parallèle entre cette rencontre de Jésus avec les personnes de son clan, dans sa ville natale de Nazareth et la parabole du fils prodigue. Pourquoi lui et pas nous ?

« Ce point de division est celui qu’illustre la parabole du Père et des deux fils: le fils aîné a-t-il des droits à l’amour de son père parce qu’il lui est fidèle, ou l’amour du père ne s’ouvrira-t-il pas aussi au fils infidèle parce qu’il a tragiquement perdu cet amour qui seul fait vivre? Le fils aîné ne représente-t-il pas les gens de Nazareth (de tous les temps) dont la certitude d’avoir des droits à l’amour du Père les en éloigne inévitablement? »

Georges Convert

Étienne Godard

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