Du pain distribué à la vie donné en partage
Cet épisode de l’évangile de Jean suit d’assez près le récit que l’on connait bien qui est celui de la multiplication des pains sur la montagne, repris par tous les évangélistes. Ici, Jean appelle Jésus rabbi, comme à plusieurs dans d’autres endroits de son texte. Pour les juifs d’hier et d’aujourd’hui, le rabbi c’est la personne qui enseigne, qui guide, qui donne sens et actualise les écritures. Le texte mentionne surtout que Jésus a donné à manger à cette foule qui l’avait accompagné. Mais le texte laisse aussi entendre que Jésus, le rabbi, est dans une position d’enseignement sur la montagne.
Georges Convert nous rappelait toujours, au Relais, cette étroite association entre mendication du pain et mendication de la parole. La scène du repas dans les évangiles est pour moi d’une grande importance: c’est le pain et la parole qui y sont consommés. « Cette nourriture », écrit Georges dans son commentaire, «largement offerte à tous, c’est d’abord la parole de Jésus ». Il est important de garder en tête, tout particulièrement pour cette scène qu’est le repas sur la montagne, une réalité souvent nommée dans la bible :«l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt. 8,3).
Pourquoi la foule cherche-t-elle Jésus?
On peut se demander de quelle faim elle est animée. Visiblement, Jésus à des doutes. Est-ce que la foule sur la montagne demande une nouvelle foi à se remplir la panse? Elle me semble être demeurée dans l’immédiat. Jésus cherchait à les amener à aller au plus profond. À répondre à leur soif d’absolu. À explorer ensemble les liens premiers et essentiel qui, par le métissage, le partage, l’amour, le don, la réconciliation, tisse des communautés capables de sortir d’une bestialité, d’une matérialité pour atteindre une liberté qui nous fait découvrir une vie en perpétuelle création. La foi, pour moi, c’est de reconnaître la vie qui nous est donnée, savoir en faire le partage et reconnaître son caractère sacré. Le Pape François a dit qu’il faut luter contre la dégradation de notre sentiment d’étonnement. Il ne faut jamais perdre son émerveillement devant la vie. C’est à quoi la parole de Jésus nous invite. Le vrai pain, c’est la vie qui nous est donnée.
Jésus ne veut pas être considéré comme un simple magicien. Ces gestes sont des signes qui pointe vers une invitation à changer notre regard, notre agir. Ce pain et ces poissons distribués sur la montagne venaient d’un petit garçon. C’est une invitation à trouver, dans nos vies quotidiennes, à l’intérieur de tous les petits instants de vérité qu’elles contiennent, cet émerveillement qui nous fait sortir de nos enfermements. La foi nous permet de distinguer ces réalités invisibles qui donnent toute la saveur à nos vies. La foi qui se nourrit des miracles est une illusion. Ce n’est qu’une machine à désirer qui crée une dépendance centrée sur soi. À l’image de la traversée de la mer de Galilée, Jésus nous invite encore à traverser sur l’autre rive, celle de la vie quotidienne, où se jouent nos espérances, nos amours, nos relations, tout ce qui construit notre vie communautaire.
Je laisse la parole à Georges Convert qui décrit très bien cette ‘autre rive’:
Sortir de notre carcan biologique, du conditionnement de notre héritage génétique qui nous a forgé pour répondre à nos besoins vitaux: se nourrir se faire une place au soleil, procréer. Défendre la vie du clan, ceux qui nous son proche au détriment des autres (…) La création, considérer comme bonne aux yeux de Dieu, comprend mes rapports aux autres humains que je croise au travail, à la maison. C’est avec eux que Jésus m’appelle à tisser cet au-delà. Jésus lève le voile sur une autre vie possible.
Georges Convert
Étienne Godard
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