Regards croisés, mercredi 27 septembre et 4 octobre 2023
Mt 21 28-32, 21 33-43 et 22 1-13
Querelles avec les chefs religieux juifs
Ces trois textes de Matthieu sont étroitement reliés. La narration que fait l’évangéliste des derniers temps de Jésus, après qu’il ait chassé les vendeurs du Temple, nous parle des confrontations que le Nazaréen a eues avec les hauts responsables de la tradition juive. Cette confrontation, qui reste sous couvert tout au long de récit évangélique, apparaît ici dans sa profondeur. Le premier texte nous présente la nouveauté du regard de Jésus sur l’identité d’hommes et de femmes de son époque. Prenons un exemple pour illustrer cette perception. Au temps de Jésus, comment sont perçues les personnes qui vivent avec une infirmité? À quelques reprises dans les évangiles, nous rencontrons Jésus qui guérit un aveugle, à la piscine de Siloé, ou encore à la porte de Jéricho. Dans le monde antique, ces handicaps sont associés à une faute commise plus haut dans la généalogie de l’individu. Leur vie en est déterminée. C’est une punition envoyée par Dieu. Jésus va venir briser cette notion d’enfermement. Il défend ici l’espérance de tout être humain.
Une invitation à voir autrement
Nos regards, nos jugements, ne doivent jamais enfermer quelqu’un dans une boîte. Les réalités qui nous freinent — économiques comme sociologiques — sont déjà assez nombreuses. Nos vies sont dynamiques, comme coule une rivière. Il devrait toujours exister une possibilité de recommencer. Toujours, nous avons la possibilité de choisir une autre voie. C’est une vision dynamique que nous présente Jésus.
Dans cette parabole sur les deux fils, Jésus oppose aux grands prêtres et aux anciens du peuple — nous pourrions dire l’élite religieuse d’Israël à l’époque de Jésus —, les publicains et les prostituées. Nous avons beaucoup d’exemples, dans le second Testament, où Jésus se trouve en présence de publicains (Zachée) ou de prostituées (chez le pharisien Simon). Quand Jésus les croise sur sa route, ces exclus de la bonne société juive embrassent le chemin que le Maître propose. On se rappellera qu’un de ses premiers disciples, Matthieu, était publicain lorsqu’il rencontre le fils de Marie et de Joseph. Pour célébrer sa rencontre, Matthieu organise un grand repas. Qui va y prendre part? Beaucoup d’amis qui sont collecteurs de taxes comme lui. Ils ont fait une place à Jésus autour de la table et Jésus s’est joint à leur compagnie pour partager leurs joies. Geste qui a été très mal vu par les autorités religieuses juives, nous dit l’évangile de Mathieu.
Disponibilité et ouverture
Qu’ont-elles en communs ces personnes? Elles ont accepté de partager leur repas, leur fraternité, avec ce Jésus. Des vases communiquant se mettent en place dans une société qui semble sclérosée par une morale religieuse qui provoque beaucoup d’exclusion. Certains vont même se laisser transformer, comme Matthieu. Ils se sont ouverts à la présence du souffle dans leur vie. Que me dit cette ouverture? Ce changement de cap qu’a provoqué, chez plusieurs exclus dans les évangiles, la rencontre de Jésus dans leur parcours de vie? Elle me parle de disponibilité dans mon quotidien. Elle me parle d’ouverture au changement. Je pense à cette veille dont nous parlent souvent les évangiles. Dans la vie, les jeux ne sont jamais faits. Moi, comme les autres, nous ne sommes pas enfermés dans notre passé. Oui, notre passé peut être un poids. À la rencontre d’une espérance, une nouvelle route peut toujours se dessiner. Jésus nous invite à ne pas mettre des étiquettes sur des personnes. Jamais nos vies ne s’en vont vers un mur. Un changement de voie, une rencontre inspirante, une espérance est toujours possible.
On trouve une image forte dans le premier Testament. Le prophète Osée épouse une prostituée, Gomer. Son parcours de vie extrêmement difficile, qui l’a entraînée à vendre son corps pour subsister, n’en fait pas une très bonne maîtresse de maison. Mais Osée aime Gomer, malgré ses trahisons. Il veut l’ouvrir à autre chose. Il l’aime, pourrions-nous dire, à l’image de ces prostituées, de ces handicapés, de ces veuves que Jésus rencontre dans les récits évangéliques. Il les aime et il veut leur offrir une autre route en leur donnant sa confiance. C’est un peu comme si Jésus affirmait aux chefs religieux juifs que les plus rejetées, les prostituées, ont plus de valeur aux yeux de Dieu.
Empruntons une image utilisée par Georges Convert. « (C’est) un peu comme si, pour être rejoint par l’Évangile, il fallait d’abord prendre conscience de son éloignement de Dieu. Cela, les chefs des prêtres et les responsables religieux ne sont pas en mesure de le faire. Leur genre de vie les classe dans les fidèles à Dieu: ils prient en public, ils pratiquent le jeûne, ils font l’aumône au su et au vu de tous. Mais, en fait, ils aiment en parole, et non en actes et en vérité (cf. 1Jn 3,1) ». J’aime beaucoup utiliser la démonstration qu’ont faite les peintres impressionnistes. Leur peinture suggère que tout est mouvement, rien n’est statique: tout bouge, change. C’est la vie qui dicte ce mouvement. Fixer une réalité dans une image, la mettre en boîte, c’est lui nier cette liberté.
Les vignerons qui cueillent sans partage (Mt 21,33-43)
Cette parabole que nous présente ici Matthieu est d’une grande brutalité. Ces textes d’évangile, il faut s’en rappeler, sont des appels à voir autrement. La vigne, dans la bible, c’est la mise en scène du Royaume. C’est un espace symbolique qui met en scène ce que devrait être le comportement des disciples qui suivent l’enseignement de Dieu. Travailler à la vigne, c’est travailler à la venue du Royaume. Ici, tout est perverti! Les vignerons pillent, tuent, s’approprient de tous les biens, sans partage. Les vignerons sont ceux que le Seigneur a mis en place pour préparer le règne de Dieu. Ce n’est pas du tout ce que nous présente la parabole.
Les biblistes nous invitent à faire un parallèle entre ces vignerons et bien des chefs religieux juifs. En rien ils n’ont préparé le peuple à la venue du Royaume, nous suggère Jésus dans cette parabole. Alors que c’était leur tâche d’enseigner les chemins du relèvement, les chemins de l’amour qui mènent à l’ouverture, à l’inclusion. On retrouve ici le discours des prophètes du premier Testament. Avec la multiplication de leurs règles de saintetés et de puretés, ils ont en quelque sorte fermé l’accès à la sagesse de Dieu aux plus humbles, aux plus démunis, à tous ceux et celles qui vivent dans l’attente d’une espérance. C’est ce à quoi invite Jésus: au renversement.
Des noces boudées (Mt 22,1-13)
Nous retrouvons le thème de la noce tout au long de la Bible. La noce annonce l’Alliance. Les prophètes ont souvent utilisé cette image de la noce pour parler de l’intimité entre Dieu et le peuple d’Israël. La troisième parabole que Matthieu nous présente dans cette série fait référence à un roi qui veut marier son fils et qui convoque les bien-pensants à venir assister au banquet préparer par le roi: « Voici, j’ai apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été sacrifiés, tout est prêt. » L’appel de la bonne nouvelle qu’est l’invitation au banquet, à la noce, laisse une bonne partie de la bonne société indifférente. Les personnes préfèrent leur travail aux champs où leurs activités commerciales.
Cette parabole, comme les deux qui la précèdent, est une mise en scène qui veut nous montrer qui sont ceux et celles qui répondent à l’appel de Dieu. Ceux qui préfèrent s’occuper de leur commerce ou de leurs champs ne portent pas attention à cet appel à entrer en relation. Je dirais que — indirectement — ils se ferment à cette brise de vie qu’amène la parole de Jésus. Tous ces êtres, fermement installés dans une dynamique qu’ils inscrivent dans les pas des générations précédentes, sont sourds à cet appel. À cette croisée des chemins, ils sont absents.
Les bruits de nos villes, les bruits dans nos vies ne nous permettent pas toujours d’entendre l’appel de notre espérance. Nous nous laissons dévorer par le chant des sirènes. Le travail, ou la quête de travail, d’argent, d’appréciation sociale, de « like » sur notre page Facebook, ou les appels incessants des sollicitations sur l’écran de nos téléphones laissent moins de place à nos engagements dans notre communauté humaine. Tisser des amitiés et des amours demande beaucoup d’investissement et de temps. J’aime beaucoup une phrase de Georges qui résume bien ce rouage: « Dans nos vies, constamment Dieu fait signe. L’esprit souffle! »
J’aimerais terminer en citant ce commentaire de Georges Convert:
Ce n’est pas forcément pour nous d’arriver à nous débarrasser de tout ce qui ne va pas ou de ce qui nous fait honte. C’est d’oser sortir de la honte, du rejet, qui nous empêche de nous présenter devant Dieu avec tout ce nous sommes; sans hypocrisie, sans le cache-sexe des actes rituels ou des apparences sociales.
Il ne suffit pas de dire: « Seigneur! Seigneur! » pour entrer dans le règne des cieux. Il n’est jamais trop tard pour changer, pour devenir soi et connaître le bonheur indicible d’être bien dans sa peau, de rayonner de vie. C’est ce que Dieu attend de son enfant. Jésus ne nous offre pas de solution toute faite, qui serait valable absolument toujours pour tout le monde, mais Jésus nous offre une énigme qui prête à réfléchir et à nous poser des questions sur notre relation à Dieu, où en suis-je moi-même, où en sont ceux que j’aime, et comment les aider? Une certaine ouverture d’esprit, une certaine écoute de Dieu qui permettent de se remettre en cause et de faire un premier pas dans une perspective positive.
Pour les prophètes, la communion avec Dieu (l’Alliance) se réalise par la pratique de la justice et de l’amour et non pas par la multiplication des rites religieux, des offrandes et des sacrifices. Tout cet enseignement est rappelé par les prophètes: « Défendez le droit et la justice: libérez le spolié du pouvoir de l’exploiteur, n’opprimez pas et ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve (Jr 22,3). Citons enfin Osée: c’est l’amour que je préfère, non l’offrande sacrificielle (Os 6,6). Cette formule semble avoir été souvent sur les lèvres de Jésus (Mt 9,13; 12,7).
Pour la dernière partie de la parabole, où il est fait mention de l’habit d’un des invités, ce passage nous rappellerait qu’une fois l’invitation acceptée, chacun doit s’efforcer de vivre et d’agir en conformité à l’amour reçu de Dieu. Les commentateurs suggèrent que les 1ers chrétiens auraient été confrontés à des gens qui acceptaient de faire partie de la communauté, mais sans changer leur conduite: c’est-à-dire en continuant de vivre « à la païenne »! Le vêtement serait donc le symbole de cette conversion nécessaire.
Georges Convert
Étienne Godard
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