J’ai lu dans un commentaire que les lépreux en Palestine au temps de Jésus étaient considérés comme « les pauvres parmi les pauvres. Cette posture face aux lépreux n’était pas propre à la Palestine du 1er siècle. Cela devait être une réalité qui englobait l’ensemble du pourtour méditerranéen. Cette mise en situation nous permet d’aborder en toute connaissance de cause ce récit de Luc sur la guérison des lépreux à la frontière de la Samarie (Luc 17,11-19). Répondre à l’appel des lépreux, comme le fait Jésus, on peut considérer que c’est l’image ultime de l’accueil. On trouve des lépreux partout au cours de l’histoire. Des léproseries où l’on cherche à les tenir à l’extérieur du monde. Parce que c’est trop abominable, il faut les cacher. Le lépreux fait honte. Leur péché se devait d’être insoutenable. Il ne faut pas qu’il vienne contaminer le vrai monde qui fréquente le droit chemin.
François d’Assise va faire l’inavouable: il va toucher un lépreux, lui, le fils choyé d’un grand marchand de tissus de la ville. Il franchit une barrière titanesque. Un geste qui ne lui sera pas pardonné par les bien-pensants. Il y a des sphères qui peuvent très bien vivre côte à côte, se frôler lors d’occasions bien déterminées et symboliques dans le calendrier et ainsi jouer des rôles qui graissent et entretiennent le paysage religieux et sociologique de la communauté.
Tout au long de sa vie publique, Jésus a cherché à élargir le cercle qui marque la frontière de la communauté. Il a essayé du côté des publicains, nom donné à ceux qui collectent les taxes pour l’occupant Romain, en faisant entrer un de ses membres dans sa communauté rapprochée avec Matthieu. Il s’y remet en allant manger et dormir chez Zachée. Il se fait proche des femmes, même des prostitués, chez le pharisien Simon par exemple et les Samaritains tiennent le bon rôle dans ses récits et paraboles (comme ici et comme dans La parabole du bon Samaritain). Il se fait aussi proche d’un légionnaire de l’armée romaine. Pour lui, même l’occupant Romain trouve sa place dans la cité.
La première chose qui me marque c’est que les dix lépreux sont guéris même s’il n’y en a qu’un seul qui vient remercier Jésus… Sa miséricorde est présente même sans le geste d’Action de grâce des lépreux. Le geste de Jésus est totalement gratuit. Non seulement Jésus fait preuve d’une miséricorde sans borne, aveugle, mais des dix lépreux, un seul revient remercier Jésus et il est Samaritain. En fait, les juifs d’alors n’en démordaient pas: ils ne voulaient rien avoir à faire avec les Samaritains. Quand j’écris les Juifs, précisons surtout les Juifs de Judée, et même de Jérusalem. Certainement tous ceux qui font partie de près ou de loin de l’élite religieuse.
Il faut aussi se souvenir que dans la culture juive de cette époque, les citoyens qui ont des maladies graves où même des handicaps physiques de naissance sont considérés comme ayant reçu leur punition de Dieu à la suite d’un péché qu’ils ont commis. Le livre du lévitique, au chapitre treize, verset quarante-cinq, nous dit que la lèpre est la marque d’un homme frappé par Dieu.
Le samaritain était le seul à ne pas appartenir au peuple élu, pour qui le messie est venu. Jésus nous demande une grande ouverture d’esprit. Je comprends qu’il met en colère les chefs religieux et politiques d’Israël — chefs qui vont finalement le mettre à mort. Jésus renverse les acquis du système: la nécessité d’être pur pour se présenter devant Dieu, les divisions raciales sanctionnées par l’autorité religieuse (Samaritain et Juifs) l’autorité exclusive des prêtres (il est écrit dans le livre du lévitique que les lépreux guéris doivent se présenter devant les prêtres au Temple pour reprendre leur place dans la communauté…). Il en fait beaucoup ce lépreux guéri qui revient vers Jésus! Il se jette face contre terre aux pieds du Nazaréen. Il a un rapport normal avec un thaumaturge. Jésus lui n’a pas de comportement normal comme thaumaturge. Il n’exige rien en retour et lui accorde le salut. Va-t-il revenir sur sa décision et ne pas guérir les neuf autres lépreux? Cela ne lui traverse même pas l’esprit…
Étienne Godard
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