Le règne de Dieu qui se fait proche
Nous pouvons nous demander c’est quoi pour nous le règne de cieux qui se fait proche? C’est quoi le règne des cieux pour soi? C’est un lieu, un espace, où règne la relation, le dialogue, l’écoute. Pour les disciples de la communauté de Matthieu, c’est, je pense, l’arrivée de jours meilleurs pour Israël, le départ des armées romaines de chez eux. Comme les Ukrainiens vis-à-vis l’armée russe. Pour les paysans, c’est arrêter de se faire voler par des taxes sur leur récolte. Aussi de l’eau en abondance, certainement. Pour moi, ce serait de créer un monde qui peut se parler, s’écouter, entrer en relations, se regarder. Ce serait pouvoir rêver d’un monde qui soit ouvert sur notre imaginaire. Rien de fermer, qui enferme et asphyxie.
Les disciples, des personnes en quêtes
Quand je lis cet appel de Jésus aux pêcheurs, Simon et André puis Jacques à Zébédée et Jean, dans leurs chaloupes, avec leurs pères, qui répondent sans aucune question à l’invitation de Jésus de le suivre, je ne peux m’empêcher de me demander où ils se sont connus précédemment. Les évangélistes Luc et Marc racontent une histoire semblable. Il faut dire que chez Luc, c’est un récit un peu plus élaboré. La version de Jean est bien différente. Rapidement, l’évangéliste nous dit que le lendemain de son baptême, Jésus est de nouveau avec le groupe des disciples de Jean le Baptiste.
À l’invitation de ce dernier, André, le frère de Simon Pierre accompagné d’un autre disciple, se met à suivre Jésus qui leur demande pourquoi ils le suivent. Ceux-ci lui répondent par une autre question: « Rabbi, où demeures-tu? » (Jn 1, 25). Si l’on se fie sur ce récit, les premiers disciples de Jésus l’auraient connu alors qu’ils étaient auparavant des disciples de Jean le Baptiste. Après que ce dernier soit arrêté, ils vont retourner à la pêche, comme ils vont le faire après l’épisode de la passion.
Des lieux de rencontre
Peut-être l’ont-ils revu alors que Jésus s’adressait à la foule, au marché? Je pencherais plutôt pour la synagogue. Il y a été invité à commenter un texte de la bible juive. Comme on le verra plus loin à la synagogue de Nazareth. À cette occasion, sa parole, sa nouveauté, son autorité les ont séduits. Ils ont bu la parole du Rabbi de Nazareth qui leur a annoncé que le Royaume se faisait proche. Que le temps était venu de se faire proche à notre tour de cet esprit qui soufflait sur la nuque raide de leurs contemporains. De nouveau, sur la place du marché, où ils sont venus, tôt le matin, vendre le produit de leur pêche. Ils l’ont entendu parler en train de manger avec, autour de lui, des femmes, des pauvres, des marchants, des pécheurs et même un étranger du royaume au-delà du Jourdain. Ils ont entendu des éclats de joie, ont perçu des signes d’accueil inconditionnel dans les gestes échangés. Ils ont perçu de nouveau cette voix bien affirmée qui parlait avec une autorité nouvelle.
Cette façon d’agir au marché. Cette façon de parler à la synagogue a cheminé dans leur tête: il y aurait une autre manière de vivre notre relation au Père d’en haut, une autre voie à suivre qui pourrait nous sortir de notre enfermement?
Ainsi, quand Jésus les appelle et les invite à le suivre, la digue à cédé. Ils ont tous voulu découvrir où ce Jésus demeurait, qui il était. La lecture du récit nous permet, aujourd’hui, malgré la distance qui nous sépare du temps de Jésus, de nous joindre à d’autres humains qui se laissent interpeller. Comme nous le sommes tous, nous aussi, rassemblés dans nos chapelles, attablés à la table avec d’autres. Nous sommes venus voir où ce Jésus demeurait. Qui il était. Sa mission peut se résumer ainsi: « Ramener les humains de la mort à la vie. » Semer l’espérance.
Francine Robert écrit dans un article paru dans la revue Lumen Vitae, 2005, no 2, qu’il faut « consentir à la dimension interprétative du texte. » C’est se permettre de confronter les différentes versions du même texte qui sont disponibles. Pour utiliser les mots de Madame Robert, on ouvre ainsi l’espace qui nous offre « des personnages en quête, acculés à interpréter événements imprévus et situations paradoxales. Or besoins et questions, même rejoignant l’universelle quête humaine, surgissent de l’aujourd’hui, bien loin des gens de la Bible. Nous vivons ailleurs ».
Étienne Godard
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