Évangile du dimanche 12 juillet 2015

15e dimanche ordinaire (année B), selon l’écrit de Marc 6, 7-13

Du pain sur la table

7 [Jésus] appelle les Douze et commence à les envoyer deux par deux.
Il leur donne autorité sur les esprits qui sont impurs.

8 Il leur recommande de ne rien emporter pour la route
-sinon un bâton seulement: ni pain, ni besace, ni monnaie dans la ceinture,

9 mais d’être chaussés de sandales. Et ne prenez pas deux tuniques.

10 Il leur dit:
Où que vous entriez dans une maison,
restez-là jusqu’à ce que vous sortiez de là.

11 Si quelque lieu ne vous accueille pas et s’ils ne vous écoutent pas,
en partant de là, secouez la poussière de vos pieds,en témoignage contre eux.

12 Ils s’en vont prêcher pour qu’on se convertisse.

13 Ils expulsent de nombreux démons
et font des onctions d’huile à de nombreux malades et ils guérissent.

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Le commentaire du pain sur la table,

par Georges Convert.

Voilà le prototype de toute mission chrétienne. Qui concerne-t-elle parmi les chrétiens?
Ses traits sont-ils trop marqués par l’époque pour être encore ceux de notre temps?
Que signifient-ils exactement?

La place de ce texte dans le récit de Marc
Dans le récit de Marc, notre texte se trouve aussitôt après l’échec de Nazareth.
On se souvient que, lors de cette visite dans son village natal,
Jésus s’est vu rejeter par ses compatriotes:
Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, sa parenté et sa maisonnée  (6,4).
La mission de Jésus est commencée depuis quelque temps.
Elle s’est déroulée surtout aux alentours du lac de Galilée,
Jésus ayant fait son quartier général à Capharnaüm,
probablement dans la maison de Simon-Pierre.
Dans le développement du récit évangélique,
la longue montée vers Jérusalem et vers la passion va commencer.
Le point tournant sera le repas des pains multipliés,
où les foules vont applaudir celui dont elles voudraient faire leur messie.
Mais l’attitude de Jésus en décevra certains
car il refuse de jouer un rôle de leader politique, de roi-messie.
Le succès de Jésus va aussi attirer l’attention de l’élite religieuse de Jérusalem
qui va même envoyer des observateurs pour vérifier l’orthodoxie
de ce prédicateur qui semble soulever les foules (cf. Mc 7).
Le rejet des gens de Nazareth préfigure celui des chefs religieux de Jérusalem.
Jésus envoie les Douze dans les hameaux de Galilée
pour accoutumer ses disciples à continuer sa mission.
Cela serait confirmé par le fait qu’à leur retour de mission,
les Douze sont désormais appelés les apôtres:
ce mot veut dire envoyé et il est attribué à ceux qui doivent agir au nom de quelqu’un.

[Jésus] appelle les Douze et commence à les envoyer deux par deux.
Cet envoi des disciples deux par deux va se retrouver après Pâques:
Ayant appris que la Samarie avait accueilli la Parole de Dieu,
les apôtres, qui étaient à Jérusalem, y envoyèrent Pierre et Jean
  (Ac 8,14).
À Antioche, un jour qu’ils célébraient le culte du Seigneur, l’Esprit saint leur dit:
«Réservez-moi Barnabas et Saül pour l’oeuvre à laquelle je les ai appelés.»
Après leur avoir imposé les mains, ils prirent congé d’eux
  (Ac 13,2).
On peut penser qu’alors les dangers des voyages commandait une telle pratique.
Paul les énumère dans la deuxième lettre aux Corinthiens (11,25-27):
Trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit sur l’abîme.
Voyages à pied souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands, …
dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer. …
Fatigues et peines, veilles souvent, faim et soif, jeûne souvent, froid et dénuement.

C’est ainsi que Paul sera accompagné d’abord de Barnabé, de Marc,
puis de Luc, de Tite, de Timothée.
Mais on sait aussi que la coutume juive demande deux personnes
pour que le témoignage soit considéré comme crédible devant un tribunal.
Le livre biblique du Deutéronome comporte cette prescription (19,15):
Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre quelqu’un de quelque faute que ce soit;
quel que soit le délit, c’est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie.

La littérature juive dit encore que lorsque 2 ou 3 sont réunis autour de la Tora
(la Doctrine révélée par Dieu), Dieu lui-même est au milieu d’eux.
Jésus a repris cela: Là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom,
je suis au milieu d’eux
  (Mt 18,20).
Dans son commentaire de cet envoi des disciples deux par deux,
saint Grégoire dit que la charité ne peut exister à moins d’être deux
(cité par Jacques Loew, Comme s’il voyait l’Invisible, Foi vivante 1964, p. 167).
À deux, c’est déjà le témoignage de l’Église qui est commencé
par la mise en pratique du précepte du Seigneur: Voici mon précepte, le mien:
que vous vous aimiez les uns les autres de la même manière que je vous ai aimés
  (Jn 15,12).
Le disciple de Jésus est envoyé dans le monde.
Peut-être serait-il en cela différent des disciples du mouvement de Qumrân:
ceux-là se retirent du monde qu’ils considèrent foncièrement infidèle à la Tora,
et ils vivent en une sorte de monastère, à l’écart de la société.
Le Père a envoyé Jésus dans le monde pour y prêcher que Dieu est Amour et Pardon.
Ses disciples seront aussi envoyés dans le monde (Jn 17,18):
Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
Ils seront donc davantage que des adeptes-disciples: ils seront des apôtres.
Or, l’apôtre est un émissaire personnel choisi par celui qui l’envoie pour le représenter.
Il n’est donc pas seulement un adepte propageant la doctrine,
mais il doit parler et agir au nom et place de son Envoyeur.
N’est-ce pas ainsi une raison d’aller deux par deux
afin qu’il soit clair, pour les auditeurs,
que l’apôtre ne prêche pas son propre message mais celui du Maître.
Madeleine Delbrêl commentait ainsi:
«Si deux ou trois sont réunis en mon nom,
il se fait ainsi une vraie unité, réelle.
Vivre en communauté, c’est exploiter pour le monde une sorte de sacrement:
assurer la présence de Jésus.
Le témoignage d’un seul, qu’il le veuille ou non, porte sa propre signature.
Le témoignage d’une communauté porte, si elle est fidèle, la signature du Christ.»

(cité dans J. Loew, Vivre l’Évangile avec M. Delbrêl, Centurion 1994, p. 66).
Au soir du Dernier repas, Jésus priera précisément pour l’unité de ses adeptes,
unité qui témoignera par elle-même que Dieu est vraiment Celui qui inspire Jésus:
Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous,
afin que le monde croie que tu m’as envoyé
  (Jn 17,21).

Il leur recommande de ne rien emporter pour la route
-sinon un bâton seulement: ni pain, ni besace, ni monnaie dans la ceinture,
mais d’être chaussés de sandales… «Et ne prenez pas deux tuniques.»

Que signifient ces consignes et quelle est l’origine de cette tenue du missionnaire?

  • S’inspire-t-elle des textes de l’Exode qui décrivent la tenue de ceux qui vont célébrer la Pâque?
    Mangez ainsi [l’agneau]: la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main  (Ex12,11).
    C’est la tenue du grand voyageur qui rappelle le départ de l’Égypte pour la Terre Promise.
  • Est-ce au contraire la tenue des pèlerins montant à Jérusalem?,
    comme la décrit ce texte juif (Traité Berakhot 9,5):
    «On ne montera pas au Temple avec un bâton, des chaussures aux pieds,
    muni d’une ceinture pour l’argent ou les pieds remplis de poussière.»

    Désormais on ne monterait plus au Temple,
    car c’est dans les maisons des fils et filles de Dieu que Dieu fait sa demeure.
    Cette première mission serait comme le prototype symbolique de la mission future,
    car c’est dans cette Galilée des nations que le Ressuscité enverra ses disciples:
    Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront  (Mt28,10).
    Et c’est de là qu’il les enverra dans le monde entier:
    Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création  (Mc 16,15).
    En comparant avec les textes parallèles de Matthieu et de Luc (Mt 10,1-5; Lc 9,1-6; 10,3-12),
    on s’aperçoit aussi qu’il y a des variantes dans ce portrait de l’envoyé.
  • Si Marc permet bâton et sandales, Luc et Matthieu les interdisent.
    À l’époque on allait souvent pieds nus
    et les sandales étaient le signe qu’on était un être libre et non un esclave.
    Marc a-t-il adapté les consignes de Jésus aux missionnaires -comme Paul-
    qui circulaient alors à travers plusieurs pays et devaient souvent faire face
    aux brigands sur les routes. Le baton pouvait en effet servir à se défendre.
  • La besace est sans doute le sac qui était destiné à quêter la nourriture.
    Aujourd’hui, «on peut voir encore en Extrême-Orient des bonzes chargés de ce sac,
    qu’ils tendent [aux passants] tant qu’ils n’ont pas recueilli leur nourriture quotidienne.
    Ieshoua préfère que ses envoyés vivent de l’hospitalité de ceux à qui ils prêcheront»,

    car l’ouvrier a droit à sa nourriture  (Mt 10,10) (A. Chouraqui Marcos, JC Lattès 1992, p. 116).
    Mais, en même temps, Jésus recommande de ne pas « magasiner » l’hospitalité:
    Où que vous entriez dans une maison, restez-là jusqu’à ce que vous sortiez de là.
    Il veut peut-être prévenir la tentation de chercher un meilleur gîte,
    ou de se faire abusivement entretenir,
    ou encore de faire affront à l’hôte en le quittant pour une autre demeure.
  • Jésus demande aussi de ne pas avoir de petite monnaie,
    cette petite monnaie que même le voyageur pauvre garde dans sa ceinture.
  • Enfin il indique de ne pas avoir deux tuniques:
    les pauvres du temps en effet portaient la même tunique de nuit comme de jour.
    Mais ces consignes indiquent peut-être que les envoyés doivent surtout compter,
    pour tous leurs besoins, sur l’hospitalité des amis de Jésus qui habitent ces villages.
    Flavius Josèphe décrit une situation semblable à propos de la secte des Esséniens:
    «Lorsqu’ils font quelque voyage, ils ne portent autre chose que des armes
    pour se défendre des voleurs.
    Ils ont dans chaque ville quelqu’un d’entre eux pour recevoir et loger ceux de leur secte,
    et leur donner des habits et les autres choses dont ils peuvent avoir besoin.»

    Sans doute que les consignes de Jésus ont dû être adaptées
    pour répondre aux situations différentes des missionnaires
    qui quitteront la Palestine, après la Résurrection, pour faire connaître l’Évangile à toutes les nations.
    Mais, à travers toutes les diverses situations, l’essentiel doit demeurer:
    la simplicité de vie et le désintéressement.
    Un texte du 2e siècle, La Didaché, montre que cette consigne de Jésus demeure:
    «Pour ce qui regarde les apôtres et les prophètes,
    agissez de cette manière, d’après le précepte de l’Évangile:
    vous recevrez tout apôtre qui arrive chez vous, comme s’il était le Seigneur;
    il ne restera qu’un seul jour, ou un deuxième en cas de besoin;
    s’il reste un troisième jour, c’est un faux prophète;
    à son départ, l’apôtre ne doit rien recevoir;
    on lui donnera seulement du pain pour aller jusqu’à l’étape suivante;
    s’il demande de l’argent, c’est un faux prophète.»

    Le missionnaire est témoin d’un message de vie qui est donné par Dieu:
    message qui est la Parole d’amour du Père des cieux.
    Tous -et en priorité les pauvres- doivent pouvoir entendre ce message
    sans que rien n’y fasse obstacle. L’Évangile ne pourra jamais prendre la forme
    d’un enseignement lucratif pour ceux qui l’annoncent
    ni d’un message publicitaire (on ne vend pas l’Évangile comme on vend du savon).
    De telles pratiques ne peuvent que déformer et dénaturer la Parole divine.
    La simplicité des moyens de communiquer l’Évangile est un absolu
    pour respecter le caractère du message.
    Bien plus, le porte-parole de l’Évangile ne peut l’annoncer en vérité
    qu’en témoignant de ce que cette Parole d’amour de Dieu fait dans sa propre vie.
    Sinon le message se réduit à une doctrine. Le porte-parole de l’Évangile
    est essentiellement le témoin de cette amitié que Jésus lui porte
    et qui donne le sens ultime de sa vie et qui fait la profondeur de sa joie:
    Il m’a aimé, il s’est livré pour moi  (Ga 2,20).
    Il s’agit de témoigner d’un mystère: c’est de l’ordre de la confidence la plus intime.

Ils s’en vont prêcher pour qu’on se convertisse.
Ils expulsent de nombreux démons
et font des onctions d’huile à de nombreux malades et ils guérissent.

Trois activités principales sont signalées comme celles des envoyés:
un appel à la conversion, des exorcismes, des guérisons.

  • Les exorcismes sont une des façons de lutter contre les forces du mal:
    Il leur donne autorité sur les esprits qui sont impurs.
    Aujourd’hui on parlerait davantage de maladies psycho-somatiques,
    qui sont les conséquences que le corps subit
    lorsque les forces psychologiques sont affectées par des situations mauvaises:
    abandon, misère, frustrations, viol, inceste.
    Ces forces du mal se manifestent de bien des façons dans la vie des êtres humains.
    Aujourd’hui, on doit aussi considérer, comme une lutte contre les forces du mal,
    tout engagement contre les injustices économiques
    qui détruisent trop souvent les personnes et brisent les familles.
    En ce petit coin de terre qu’est Hong Kong se côtoient le luxe le plus scandaleux
    et la misère la plus noire: notamment celle de ces gens qui n’ont pour espace vital
    qu’une cage de la grandeur d’un matelas!
    Mais il ne faut sans doute pas aller chercher trop loin nos exemples:
    si le président de la firme Bombardier recevait pendant 20 ans
    le même salaire annuel qu’actuellement,
    un travailleur au salaire moyen, pour atteindre la même somme,
    aurait dû commencer à travailler 10 000 ans avant Jésus Christ!
    Les « envoyés » de Jésus ne peuvent pas non plus se désintéresser
    de cette plaie qu’est le chômage, surtout lorsqu’il devient un moyen ordinaire
    de maximiser les profits des actionnaires par la compression du personnel.
    N’oublions pas toutes les détresses humaines (et les coûts sociaux)
    qu’entraîne le fait d’être sans-emploi.

    La misère économique est souvent le berceau de l’alcoolisme et de la prostitution.
  • Les soins aux malades sont décrits selon la pratique de l’époque,
    où l’on soignait avec l’huile comme calmant et le vinaigre comme désinfectant.
    Cette pratique était celle des gens simples qui ne pouvaient se payer de médecin.
    Aujourd’hui, la médecine devrait être un droit fondamental dans nos sociétés riches.
    Cependant, aux soins thérapeutiques peuvent se joindre les soins psychologiques:
    attention, présence, services, tendresse, réconfort…

    C’est toujours la puissance de l’amour de Dieu, de son Esprit d’amour
    qui doit se manifester par l’apôtre, comme le dit Paul:
    L’Évangile que nous vous annonçons ne vous a pas été présenté comme un simple discours
    mais il a montré surabondamment sa puissance par l’action de l’Esprit saint
      (1 Th 1,5).
  • Enfin l’envoyé de Jésus devra lancer un appel à la conversion (la téchouva ).
    Les prophètes juifs prêchaient la pénitence
    et la conversion à la fidélité aux préceptes de la Tora.
    Les envoyés de Jésus prêchent l’Évangile de Jésus qui parle aussi de conversion.

Mais de quelle conversion s’agit-il?
Au début du récit de Marc (Mc 1,15), Jésus annonce que le règne de Dieu est proche.
La suite des dits et gestes de Jésus illustre ce que veut dire cette proximité:

  • la force divine en Jésus guérit les corps et les coeurs (Mc 1,27.30.32.41);
  • il pardonne sans mettre d’autre condition à ce pardon que de l’accueillir (Mc 2,9);
  • il se tient au milieu des pécheurs avec qui il partage la table (Mc 2,15);
  • il déclare que tout pratiquant de l’Évangile est membre de sa famille,
    quelles que soient sa race ou sa classe sociale:
    Voici ma mère et mes frères: ceux qui pratiquent la volonté de Dieu  (Mc 3,34).

Tout cela est fait sous le signe de la bonté généreuse,
sans conditions moralisantes, sans exigences d’offrandes rituelles,
sans discrimination entre Juifs et païens.
«La générosité désarme et stimule:
au moment où l’autre pourrait s’attendre à être accusé ou rejeté, elle offre le pardon;
au moment où l’autre pourrait s’attendre à des pressions insistantes
pour qu’il change certains comportements,
elle manifeste une patience amoureuse, créatrice»
(Yvon Poitras, Un temps pour espérer).
La générosité de Jésus témoigne que Dieu est proche
car il est un Père rempli de tendresse miséricordieuse pour chacun.
Elle atteste qu’on n’accède pas à Dieu par l’accumulation des mérites
mais par l’accueil pur et simple de son amour.
L’envoyé de Jésus appelle à se convertir à ce visage de Dieu qui est celui du Dieu de la grâce.
Et la grâce est au-delà de la justice, comme le traduit Romano Guardini:
«La justice est bonne: elle est le fond de l’existence.
Mais il y a quelque chose au-dessus de la justice,
c’est la bonté d’un coeur s’ouvrant tout grand et librement.
La justice court le risque de ne pas voir
qu’au dessus d’elle il y a le royaume de la liberté et de l’amour créateur,
de la force novatrice du coeur et de la grâce.
Malheur au monde où ne régnerait que la justice.»

Cette vision d’un Dieu qui n’est qu’amour ne signifie nullement
que Jésus propose une morale à bon marché et sans exigences.
Madeleine Delbrêl traduit bien le haut idéal moral de cet Évangile de la grâce:
«Nous sommes libres de toute obligation
mais totalement dépendants d’une seule nécessité: la charité.
C’est l’Esprit du Christ qui nous rend vivants de charité, agissant par la charité, féconds decharité»

(Joie de croire, Seuil 1968, p. 82).
Cette charité qu’on pourrait peut-être traduire,
dans un langage plus contemporain, par la bonté généreuse.
Mais Jésus sait que cette vision d’un Dieu qui pardonne et ne châtie pas,
d’un Dieu qui accorde son amour aux justes et aux pécheurs,
va lui valoir de sérieuses oppositions:

  • celle de tous ceux qui pensent utile un Dieu juge pour maintenir l’ordre social:
    (la crainte du gendarme n’est-elle pas le début de la sagesse?);
  • celle de ceux qui tentent par l’accumulation des bonnes oeuvres de se mériter le paradis;
  • celle de ceux qui sont fiers de leur bonne conduite et méprisent les pécheurs:
    Je te bénis, Dieu, de ne pas être comme ce publicain; moi, je jeûne … je paie la dîme…  (Lc18,9-14);
  • celle enfin de tous ceux qui attendent l’intervention divine
    pour punir les malfaisants et les empêcher de nuire.
    La conversion au Dieu qui n’est qu’Amour est de tous les temps
    et tout être humain y est appelé par Jésus.

Si quelque lieu ne vous accueille pas et s’ils ne vous écoutent pas,
en partant de là, secouez la poussière de vos pieds, en témoignage contre eux.

Jésus prévient ses envoyés: s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront  (Jn 15,20).
Il ne demande pas de convaincre de force ceux qui ne pensent pas comme ses envoyés.
L’Évangile et son porte-parole ne sauraient s’imposer puisqu’ils prêchent un Dieu d’amour.
On n’apporte pas la paix par la force.
On ne change pas les coeurs en leur imposant des règles, fussent-elles de droiture et de justice.
Comme le dit M. Zundel:
«L’amour ne peut que s’offrir. L’amour ne peut qu’attendre. Et si l’amour échoue
et qu’il continue à être amour, il ne peut que mourir pour celui qui refuse d’aimer.»

Le Oui que nous avons à dire à Dieu ne peut être que celui de la liberté et de l’amour.
Alors, devant ceux qui refusent le message de l’amour, le Dieu miséricordieux,
il suffit de manifester qu’on ne se sent pas responsable de leur refus du message.
C’est peut-être le sens du geste suggéré par Jésus de secouer la poussière de ses pieds.
Dans la pensée biblique, le coin de terre est lié aux personnes qui l’habitent.
Le sol est donc comme un symbole de la communauté.
Lorsqu’un Juif avait dû fouler un sol païen, il devait secouer la poussière de ses souliers
en quittant cette terre païenne jugée impure.
Aujourd’hui le Pape baise le sol du pays qui l’accueille…

Faut-il limiter ce portrait de l’apôtre à une catégorie spécifique de chrétiens?
Ceux qui consacrent aujourd’hui encore toute leur vie à l’annonce de l’Évangile
doivent sans doute tirer le plus grand profit des consignes de Jésus:

  • style de vie simple pour donner la priorité au spirituel,
  • témoignage d’une amitié personnelle avec Jésus,
  • engagement à lutter contre tout ce qui détruit la dignité de l’être humain
    qui est appelé à être fils, fille du Père.

Mais cela vaut aussi de tout disciple, comme le disait Grégoire le Grand au 6e siècle:
(Hom. in Ev 6) «Vous pouvez, vous aussi, mériter ce nom de messager.
Peut-être n’avez-vous pas de pain pour le donner à un mendiant;
mais prenez garde de priver votre prochain de l’aumône de la Parole.
Et que personne ne vienne dire: Je suis incapable d’instruire les autres, de les exhorter.»

Enfin que serait le témoignage des messagers
si la communauté tout entière n’était pas en harmonie avec celui-ci?
Le style de nos assemblées, l’architecture et le mobilier de nos églises,
les orientations de notre pastorale, la présence de l’Église dans la société…
tout cela doit vivre des mêmes consignes du Seigneur.
C’est ce que Jean Chrysostome rappelait à ses chrétiens au 4e siècle:
«Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d’or,
quand lui meurt de faim?
En ornant sa maison, veille à ne pas mépriser ton frère affligé:
car ce temple-ci est plus précieux que celui-là.
Tu honores l’autel qui reçoit le Corps du Christ et
tu méprises celui qui est le Corps du Christ.
Cet autel-là, partout il t’est possible de le contempler, dans les rues et sur les places;
et à toute heure tu peux y célébrer ta liturgie»
(Lectures pour chaque jour, Cerf 1974, p. 240).
À Jean Chrysostome, faisait écho cet évêque au synode de 1971:
«Pour jouer son rôle de sentinelle de l’Évangile,
l’Église devrait dénoncer autrement que par des formules vagues
ceux qui, tout en se disant chrétiens, violent effrontément l’Évangile et les droits humains
en recourant à des moyens comme la torture, la violence, etc., pour des fins politiques.
Un monde avare sera toujours un monde divisé.
Tant que les nations riches n’auront pas trouvé le supplément d’âme requis
pour maîtriser la sociéte de consommation,
le partage ne sera pas possible
et le progrès ne fera qu’aggraver l’asservissement
et le gaspillage des ressources des plus pauvres,
aussi longtemps que l’argent sera la force suprême qui dirige la vie collective.
[Or] nous sommes seuls à savoir que l’humain est régi par les mêmes dynamismes
que la Trinité elle-même, c’est-à-dire par la liberté, l’unité et l’amour»
(ibid., p. 621).

Georges Convert

 

»»» Questions

1. Quelle est la tâche d’un envoyé (un apôtre)?
2. Pourquoi les disciples sont-ils envoyés deux par deux?
3. Comment s’expliquent les consignes données aux envoyés?
4. Comment appliquer ces consignes aujourd’hui?
5. Faut-il limiter ce portrait de l’apôtre à une catégorie spécifique de chrétiens?

 

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