Regards croisés

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Le passage des ténèbres à la lumière

Le texte de l’évangéliste Jean nous parle d’un aveugle-né. Tout au long de cet évangile, un aveugle-né, qui recouvre la vue, va être amené à affiner son témoignage sur Jésus. Dans notre langage de tous les jours, dire « Je vois » peut être entendu comme « Je comprends, je vois ce dont tu parles ».Tout tourne nécessairement autour du verbe voir, qui, comme nous venons de le constater, peut avoir plusieurs connotations. Nous le verrons, plus les témoignages vont se succéder, mieux la compréhension du personnage de Jésus va se définir.

Avant de scruter ces témoignages, j’aimerais m’arrêter au début du texte que nous propose la tradition liturgique cette semaine. On y trouve Jésus qui, avant même de s’adresser à l’aveugle-né, s’adresse à une question universelle: l’origine de la souffrance! On peut y lire: « En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent: « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? » Jésus répondit: « Ni lui ni ses parents n’ont péché. » Les premières images de divinités sont probablement apparues, dans la projection du monde chez les humains, pour expliquer la souffrance, la mort. Le Dieu de Jésus n’a rien à voir avec la souffrance. Il est venu l’habiter, nous dit le commentaire de Georges qui cite l’écrivain Paul Claudel « Jésus n’est pas venu expliquer le mal et la souffrance, mais l’habiter de sa présence. » Sur cette question, que plusieurs se posent encore aujourd’hui, Noël Quesson nous dit « En présence du mal, nous cherchons une explication et nous désirons trouver un coupable. Jésus ne propose aucune explication; le mal reste inacceptable, injustifié. La seule explication normale est de travailler à supprimer ce mal, autant que possible. » (Noëlle Quesson, Parole de Dieu pour chaque dimanche, Droget-Argant, 1991, page 71.)

Jésus, lumière de monde

Travailler à supprimer le mal, la souffrance, c’est exactement ce que va faire Jésus dans sa rencontre avec l’aveugle-né. Il est noté que Jésus et ses disciples sortaient du Temple (à Jérusalem), quand ils remarquent la présence de l’aveugle. Celui-ci doit être installé à proximité pour quêter. Les biblistes nous disent que cet épisode se déroule pendant la fête des Tentes, une des trois plus grandes fêtes de l’année. Comme nous l’avons mentionné plus haut, c’est l’évangéliste Jean qui nous rapporte l’événement. On se souviendra du prologue qui ouvre son évangile. Nous pouvons y lire ceci « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’on pas arrêté » (chapitre 1, vs 3 et 4). Jean va prendre cet événement pour faire la démonstration du Jésus, lumière du monde, dont nous parle son évangile. Nous pouvons dire de l’aveugle, qui n’a jamais rien vu depuis sa naissance, de manière allégorique, qu’il habitait les ténèbres. Ainsi, par la guérison de l’aveugle, Jésus montre qu’il est cette lumière qui brille dans les ténèbres. 

Sur un texte de 41 versets, la guérison comme telle n’occupe que deux versets. L’aveugle est projeté hors de sa nuit par les gestes posés par le Nazaréen. Après s’être baigné dans la piscine de Siloé, selon les instructions du Maître, un réservoir d’eau alimenté par une source, cet homme, qui a retrouvé la vue, va être amené à effectuer plusieurs témoignages. C’est à ce point d’eau, où il est connu comme aveugle, que va se faire son premier témoignage. Ses compagnons sont dubitatifs. On lui demande comment est arrivée cette transformation. Tout ce qu’il répond c’est que cela vient d’un homme que l’on appelle Jésus qui lui a mis de la boue sur les yeux en lui demandant de venir se baigner à la piscine de Siloé.

De témoignage en témoignage: la construction de l’expérience chrétienne

Tout au long du récit, son témoignage va se préciser. Étonnés par la transformation qu’a connue leur voisin, on l’amène voir des pharisiens, probablement dans une synagogue, un lieu d’enseignement. C’est là que l’homme est appelé à faire un deuxième témoignage. Ceux qui en sont témoins, les pharisiens présents, doutent fortement de la véracité du témoignage de guérison de l’homme qui a retrouvé la vue. Était-il vraiment un aveugle de naissance? Celui-ci leur mentionne que cette guérison vient de Jésus, qui l’aurait guéri un jour de sabbat. Plusieurs des pharisiens n’acceptent pas ce témoignage. Surtout quand l’homme affirme que ce Jésus est un prophète pour lui. Puis, le texte nous dit que les pharisiens poursuivent leur enquête en allant questionner les parents qui confirment que leur fils est né aveugle. Mais, apeurés par l’autorité des pharisiens, ils ne veulent pas aller plus loin dans leur témoignage. Par la suite, ces mêmes pharisiens retournent voir l’aveugle-né, guéri par Jésus. La tension monte d’un cran quand l’homme confirme son premier témoignage. Il est jeté à l’extérieur de l’édifice où ils se trouvent tous, probablement cette même synagogue dont nous parlions plus haut.  

Pour clore cette série de témoignages, l’aveugle-né, qui est sorti des ténèbres, rencontre Jésus une seconde fois. Au premier témoignage, l’homme qui répondait aux questions de ceux qui le connaissaient à la piscine de Siloé avait répondu, à la question « qui était cet homme qui l’avait guéri? », que c’était un homme que l’on appelait Jésus qui l’avait guéri. Puis, aux pharisiens qui lui posaient la même question, il avait répondu d’une manière plus précise, que c’était Jésus, un prophète! Enfin, c’est à l’occasion de sa deuxième rencontre avec Jésus qu’il va atteindre le sommet de son parcours de croyant: il affirme croire en Jésus Fils de l’homme!

Les disciples d’aujourd’hui

Jean écrit son évangile près de cinquante ans après la mort de Jésus, selon les chercheurs aujourd’hui, soit vers la fin du premier siècle de l’ère chrétienne. Les évangélistes écrivaient pour une communauté rassemblée autour d’eux. C’est ainsi qu’aujourd’hui la grande majorité des biblistes voient les débuts de la formation de la tradition chrétienne. Cet homme, présenté par Jean, est sorti des ténèbres après avoir été en contact avec Jésus, que le quatrième évangéliste présente comme la lumière du monde. Nous pouvons supposer que ce récit décrit, à la communauté de l’évangéliste Jean, le long parcours d’un disciple dans sa reconnaissance de Jésus comme fils de Dieu. Dans la communauté à laquelle s’adresse l’évangéliste, ils sont probablement nombreux à avoir entrepris un tel parcours. Une expérience qui n’était pas sans présenter de sérieuses difficultés. Nous avons vu comment l’aveugle guéri par Jésus se fait mettre dehors de la synagogue par des pharisiens manu militari. Cette expulsion des synagogues, des chrétiens nouvellement proclamés l’ont vécu à la fin du premier siècle. Persévérez, leur dit Jean, continuez à vous abreuver de la parole. Restez dans la lumière du ressuscité.

Ce long parcours, ici schématisé dans le récit que nous raconte l’évangéliste, peut être mis en parallèle avec le récit de nos vies de croyants. Ce parcours commence par la présence, souvent discrète, d’une lumière, d’une parole, qui nous sort de notre route habituelle. Par rapport à cet homme qui se baigne à la piscine de Siloé, il nous faut changer de langage, de lieux, d’espace temps pour se rapprocher de notre quotidien. Il faut savoir ajuster notre regard et se mettre sur le mode d’écoute pour saisir ce vent qui tourne. La Bible à un verbe pour exprimer cet état: veiller. Afin de reconnaître, dans nos vies, dans nos ténèbres, ces lumières, ces moments de grâce où s’est élevé un souffle sur nos chemins, il nous faut d’abord s’y accrocher avec espoir et persévérance. Tout cela pour finalement découvrir cette lumière irradiante qui nous amène à reconnaître, à notre tour, la présence de Jésus sur notre chemin.

Pour les premiers chrétiens, ce récit de l’aveugle guéri a été l’image du baptême. On en trouve des illustrations sur les murs des catacombes à Rome. La liturgie s’en sert pour le baptême. Une antienne faisait chanter: «Je suis venu, je me suis lavé, j’ai vu et j’ai cru.» Et aujourd’hui? L’étonnant, c’est que dans notre désespoir, une petite lumière a scintillé. Comment? Pourquoi à tel moment donné? On ne sait le dire! Qu’est-ce qui fait que nous avons fait attention à cette lumière gratuite? à la grâce? Puis nous comprenons que le chemin proposé par Jésus est d’abord une rencontre personnelle avec Dieu qui n’est qu’amour. Celui qui est Source de vie, Être suprême, est d’abord un Père. Le Dieu de Jésus n’est pas une force anonyme ni un juge, mais un Être qui veut tisser une relation de communion avec chaque être humain.

Georges Convert

Étienne Godard

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