Regards croisés

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L’image de la toute-puissance de Dieu est mise à mal dans la Passion

La Passion est une souffrance pour tout le monde autour de Jésus. D’abord pour Jésus lui-même. Puis, pour Juda Iscariot, qui finit par se suicider. Pour Pierre, qui va renier son maître. Il ne peut pas supporter que Jésus ait été arrêté comme un mépris de justice, sans manifester aucune résistance, dans la faiblesse. Il ne peut pas être ce Jésus, le Messie, à qui il s’est attaché depuis près de trois années. Non, jamais, pense-t-il, que le Messie n’aurait pu agir ainsi! Le texte de Matthieu nous laisse entrevoir qu’après l’arrestation de Jésus, les disciples partent dans tous les sens. Ils ne veulent surtout pas avoir le même sort que leur maître. Ils basculent dans la peur, les ténèbres. Cette grande souffrance que vivent tous les disciples s’inscrit dans toutes nos existences. Les disciples ont certainement été convaincus que, avec la venue du Messie, cette souffrance qui nous apporte la vie n’aurait plus de prise sur notre monde. 

Pourtant Jésus n’a eu de cesse de montrer à ses apôtres que son Père n’était pas responsable de cette souffrance. Qu’il n’avait pas de pouvoir sur son action directe! Dans le récit que fait l’évangéliste Jean de la guérison de l’aveugle-né, les disciples, après avoir croisé l’homme, l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? » Jésus répondit: « Ni lui ni ses parents n’ont péché. »

Un messie humilié

À travers les récits que nous avons lus les dernières semaines, sur l’aveugle-né, sur Lazare, et aujourd’hui avec le texte de Matthieu que relate l’arrestation de Jésus au Jardin de Getsémanie, l’auréole de Jésus que les disciples associent à la toute-puissance messianique, est secouée. Pourtant, ce constat d’humilité est une caractéristique fondamentale du récit de la Passion. Au Jardin de Getsémanie, à plusieurs reprises, Jésus manifeste le désir que ses disciples prient avec lui. Il est déçu de les voir succomber à l’appel du sommeil. Noël Quesson écrit que « Jésus a besoin des autres, il a besoin d’une communauté pour le soutenir. « Mon être est triste à mourir. Restez ici et demeurez éveillés avec moi. » C’est avec tristesse qu’il constate combien il leur est difficile de le soutenir: « Ainsi, vous n’avez pas été capables de demeurer éveillés une seule heure avec moi? » (Noël Quesson, Parole de Dieu pour chaque dimanche, Droger et Ardant 1990, page 86). Devant sa mort prochaine, Jésus, comme chacun et chacune d’entre nous le ferait devant une telle épreuve, cherche désespérément le support de ses proches.

La proximité de Jésus dévastée

Dans ses derniers temps, la communauté des personnes qui ont développé une grande proximité avec le maître est soumise à de grandes souffrances. Ses amies, Marthe et Marie, leur frère Lazare. Puis au jardin de Getsémani, sur le Mont des Oliviers, après son arrestation, Pierre a vu un Jésus écrasé, humilié. Il en vient même à le renier. Judah, celui qui l’a livré, va se suicider. Les apôtres sont en déroute et se dispersent après l’arrestation de Jésus. C’est toute la communauté autour de Nazaréen que cette montée vers la croix ébranle

Lors de notre dernière rencontre aux soirées de chants de taizé au Relais, Jean mentionnait que ce texte s’adressait aussi à nous, aujourd’hui. À l’image de Pierre, si nous nous forgeons une image de Dieu qui règne par sa toute-puissance, en survolant nos épreuves, nos ténèbres, nous risquons nous aussi de renier cette image d’un Dieu « dénudé » que présente Jésus dans sa montée vers la croix. Cherchons plutôt à faire communauté avec le Dieu de Jésus qui habite nos souffrances, nos ténèbres de sa lumière et de son espérance pour nous garder parmi les vivants. Faire alliance avec Jésus est un chemin de sortie de nos ténèbres.

Comment comprendre qu’au moment crucial où Jésus est arrêté, Pierre puisse dire cette phrase: Je ne connais pas cette personne! Mais de quelle personne s’agit-il? C’est que, tout à l’heure, Pierre a vu Jésus écrasé par la souffrance. Il l’a vu angoissé, suant le sang devant la mort, triste à mourir. Il l’a vu Jésus refusé de se défendre, comme un faible. Ou un non-violent: Qui prend l’épée périra par l’épée, a dit Jésus. Il l’a vu se livrer lui-même à une bande de bandits venus au nom d’une petite clique de chefs religieux plutôt détestés par le peuple. Il aurait pu se défendre, neutraliser les gardes et soulever les foules. Ces foules, ne l’auraient-elles pas défendu? Au contraire il a vu Jésus – humilié, bafoué comme un vaurien – rester muet,se taisant comme un agneau qu’on mène à l’abattoir! Tout à l’heure, il a vu Jésus accuser de blasphème, d’outrage à Dieu… ce Jésus que lui, Pierre, a reconnu comme le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16). Mais ce n’est pas la première fois que Pierre refuse de connaître cette personne-là. Lui, Pierre, a tout quitté pour suivre quelqu’un en qui il a vu le messie. Et Jésus a confirmé que lui, Pierre, était alors inspiré par Dieu. Et voilà qu’au bout du chemin il se trouve en face d’un condamné… qui se laisse condamner. Comment ce Jésus faible peut-il être le messie? Au-delà de Jésus, c’est l’image même de Dieu qui est, pour Pierre, remise en question.
Dieu n’est-il pas le Tout-Puissant qui libère? Pierre comprend qu’il lui faut changer de regard sur Dieu. Et qu’il lui faut changer de regard sur la croix: car cette croix qu’il voulait éloigner de Jésus, cette croix qui était pour lui un scandale,
cette croix est justement ce qui vient de le sauver, lui, Pierre, en lui révélant que le véritable amour est pardon. Il sait maintenant que, malgré ses doutes et toutes ses faiblesses, Jésus continue et continuera à lui accorder son amitié. À jamais!

Georges Convert

Étienne Godard

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