Regards croisés

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Emmaüs: Un road movie palpitant

Le récit des disciples d’Emmaüs de l’évangéliste Luc est le texte que nous propose la tradition liturgique cette semaine. Luc est le seul des évangélistes à nous faire part de cette rencontre du ressuscité. Et quelle rencontre en effet! J’ai toujours été sensible à ce récit. Hollywood aurait pu en faire un film. C’est un scénario parfait pour un « road movie ». Pour rendre compte du chemin du combattant du croyant chrétien, tout y est : la route à prendre pour suivre Jésus, la parole à écouter, la marche, le témoignage, la fraction du pain, le repas, les yeux qui s’ouvrent, l’envoi. Pour moi, trois verbes résument l’élan de cette rencontre, de cette transformation. Premièrement l’écoute. Un lien se tisse, une confiance s’installe sur le chemin. L’écoute mutuelle est présente. La confiance installée, les disciples se mettent à l’écoute. Avec le jour qui tombe, les disciples demandent à Jésus de demeurer avec eux. Avec Jean Batiste, qui désigne Jésus comme l’élu, les premiers disciples demandent à Jésus « Où demeures-tu ? Finalement, la dernière étape, la plus intime, c’est le repas pris ensemble. C’est à la fraction du pain, nous dit le texte de Luc, qu’ils le reconnaissent. C’est autour de la table que nos liens les plus forts se tissent, s’entrelacent, prennent du poids. Je vois Jésus à la table chez le pharisien Simon.Évidemment, on ne peut pas ne pas voir le Nazaréen lors du dernier repas. Je me vois autour de la table, avec ma femme, lui demandant si elle voulait se marier. La table traverse le temps.

Emmaüs: Des disciples désespérés

Un théologien protestant, Antone Nouis, sur le site de Campus protestant, en commentant ce passage de Luc, émettait l’hypothèse que ces deux disciples ont peut-être été à la suite de Jésus depuis un certain temps. Ils auraient pu tout abandonner pour se mettre à sa suite. Pour eux, il était clair que c’était lui qui allait délivrer Israël. Après sa crucifixion, tout s’était écroulé, à l’image des apôtres enfermés au cénacle. C’était fini ; ils retournaient à la maison, à Emmaüs, pour reprendre leur ancienne vie. 

Jésus, à travers cette longue marche, le repas pris ensemble, leur a fait découvrir que la délivrance était ailleurs… Au début de cette longue marche, les disciples d’Emmaüs étaient désespérés, désillusionnés. En découvrant la véritable demeure de Jésus, son souffle, sa parole, les a remis debout, en marche. La rupture du pain les a réveillés de leurs ténèbres et, aussitôt, ils sont retournés à Jérusalem pour faire part de leurs rencontres avec le Ressucité.

Emmaüs: Le récit d’une quête

J’ai lu avec émerveillement un texte de Daniel Cardin sur le site alecoutedelevangiles.org. Il y parle de cette rencontre faite sur le chemin d’Emmaüs qui culmine par la fraction du pain. Nous sommes frères parce que nous avons partagé le pain ensemble. La fraction du pain permet une rencontre. Elle nous fait proche. Elle ouvre la porte au partage de ce qu’il y a de plus intime en nous : la présence de Dieu, les profondeurs de nos vies, de notre cœur. Daniel Cardin écrit : « Les disciples de Jérusalem sont deux disciples qui s’éloignent de la communauté. Ils parlent avec Jésus. C’est le récit d’une quête que nous avons sous les yeux. Pour eux, plusieurs témoignages ont été nécessaires : les femmes au tombeau vide, Pierre, Jésus… Les deux passent de l’espoir déçu à l’espérance. »

Je résume rapidement. Les disciples d’Emmaüs sont séduits par la parole de Jésus, non par les miracles. Les miracles séduisent les foules dans l’instant, mais ont peu d’effet en profondeur. C’est la parole qui amène à la relation, qui amène à tisser des liens qui nous amènent à nous lever et, à notre tour, à nous mettre en route. Ce récit nous fait réfléchir à nos quêtes actuelles. Il nous dit de toujours demeurer dans l’écoute, de demeurer disponibles au souffle qui nous transporte. Les évangiles nous invitent à veiller, à tendre l’oreille. Une invitation à rester attentif à ce que la vie nous amène a croisé, à ce que notre espérance nous amène à aborder, à suivre. Nous aussi avons besoin de ces témoignages aux croisements de nos chemins.

Pour un Oriental, le partage du pain est un geste chargé de sens symbolique: partager le pain signifie que l’on est en communion profonde, que l’on est ami. Dans la langue française, le mot compagnon rappelle ce sens. C’est partager le même pain, être co-pain: compagnon vient du latin cum pane qui signifie ‘celui avec qui on mange son pain’. Manger ensemble, c’est donc plus que prendre de la nourriture ensemble. C’est tisser des liens d’amitié, et célébrer les liens qui nous unissent. Jésus a souvent célébré l’amitié intense, sacrée, qui l’unissait à ses disciples et qui intégrait dans sa communion ceux qui partageaient son Évangile. Il y a toujours un lien étroit entre le partage du pain et le partage de la parole. Un dicton juif dit: chaque fois que deux ou trois partagent la Tora, Dieu est au milieu d’eux.Et Jésus reprend et actualise cette idée autour de sa personne: quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Mt 18,20). Les deux disciples d’Emmaüs vont reconnaître que Jésus est au milieu d’eux parce qu’ils partagent son pain et qu’ils sont réunis en son nom, en son amour. Et c’est le partage de la parole sur le chemin qui les a réunis dans l’amour de Jésus.

Georges Convert

Étienne Godard

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