Regards croisés

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Regards croisés

De mercredi 14 juin

Mt 9,36-10,8

Le texte de l’évangile de Matthieu que la tradition liturgique nous propose cette semaine touche de manière toute particulière mes cordes sensibles. À l’époque, je suivais des études bibliques à l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal. J’y avais entendu l’expression de « terreux », pour désigner les humains. Terreux parce Dieu, dans le récit de la Genèse, utilise la terre, l’argile, pour façonner, sculpter l’humain, tant la femme que l’homme. C’est pourquoi j’utilise l’expression de « terreux » pour désigner l’image de Jésus qui transparait du texte de Matthieu (9,36-10,8). L’image que me renvoie l’évangile de cette semaine, c’est celle du visage de Jésus. Pour être plus exact, ses yeux. C’est probablement ce qui définit le plus l’humain : sa joie, sa tristesse, sa surprise, sa sérénité, son agressivité, sa bienveillance, son rejet, son accueil, tout cela passe par la lecture du visage et, plus particulièrement, des yeux. En regardant toute cette foule qu’il croise en visitant les différents villages de Galilée, Jésus est ému aux entrailles, nous révèle le texte. Il est tellement touché qu’il en a mal au ventre! On peut se demander, à quand remonte la dernière fois où, dans une scène de notre quotidien, nous avons eu mal au ventre ?

Le texte que nous avons ici vient de la plume de Georges Convert. Il n’est pas le seul à avoir préféré cette traduction. Le verbe grec utilisé ici est esplanchnizô. Il signifie « être remué aux entrailles ». C’est dans un cours biblique avec Francine Robert que j’avais découvert cette signification. Si vous prenez la traduction choisie par la Bible de Jérusalem, vous trouverez la traduction suivante : « à la vue des foules, il en eut pitié ». Aujourd’hui, nous trouvons dégradant l’expression « avoir pitié de ». Pensez que quelqu’un puisse avoir pitié de nous, c’est déshumanisant. Avouez avec moi que de dire avoir pitié ne fait pas naître en nous aucune corrélation physique. Mais dire qu’une situation me remue aux entrailles, ou provoque chez-moi un haut-le-cœur, c’est parlant!

Cette fin du chapitre 9 et le début du 10 de Matthieu suivent la fin du long texte que l’on appelle les Béatitudes, où Jésus s’adresse à ces mêmes foules, dans son discours sur la montagne. Pour Jésus, ces foules sont dans un état d’errance : perdues, sans repère, sans espérance, elles sont dans un état semblable à la chute. Repliées sur soi, elles sont dans l’attente d’une parole d’espérance, d’un, pour se mettre debout. Noël Quesson décrit bien cette foule en errance : « Une humanité qui s’épuise inutilement dans des chemins qui ne mènent nulle part (…) comme un troupeau errant au hasard» (Page 202 de Parole de Dieu pour chaque dimanche, Droguet et Ardant/Verbum Bible. 1990).

Cette tâche immense de remettre debout cette foule dans l’errance, de lui redonner du sens, un chemin, c’est à ses apôtres qu’il va la confier. À des terreux, comme vous et moi. Ces mêmes apôtres qui vont démontrer peu de compréhension à l’égard de la mission de Jésus.  Ils vont le renier, le dénoncer, le renier dans leur parcours de combattants. Le mot apôtre veut dire envoyé. Pour Jésus, pour son Père, c’est faire preuve d’une confiance immense aux hommes, puis aux femmes, qu’ils envoient sur les différents chemins d’humanité. Jésus se fait proche d’eux, proche d’elles. Il se fait parmi eux, parmi elles. Il nous invite, dans nos gestes de tous les jours, sur nos chemins, à nous faire proche, à tisser des liens, à nous faire des allumeurs de réverbères. (J’emprunte ici le titre de la chronique du 7 juin 2005 dans « Au son de la cithare»,  InterBible.org)

« Le mot ‹pitié› a aujourd’hui une résonance péjorative en nous:
personne ne veut être pris en pitié par quiconque. Nous nous sentons alors dévalorisés en tant que personnes humaines. Mais ce mot, à l’origine, signifie ‹être touché et ému dans toute sa sensibilité›. Le mot grec –comme le mot hébreu– parle d’être ‹ému jusqu’aux entrailles›. C’est le sentiment qu’on prête à Dieu très souvent dans la Bible et que l’on peut traduire par miséricorde, tendresse.

Jésus voit les foules populaires comme écorchées et terrassées. En effet, les grands prêtres exploitent le peuple par la dîme et les offrandes du Temple
et les scribes l’écrasent sous le moralisme. Ils donnent aux fils et aux filles de Dieu une connaissance fausse du Père: ils présentent Dieu comme le juge plus ou moins terrifiant. Ils culpabilisent les gens en imposant obligation sur obligation, commandement sur commandement, au lieu de leur donner la chance d’entrer en communion avec leur Père divin et de se laisser aimer par l’amour fort et tendre de Dieu.

Georges Convert

Étienne Godard

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