Regards croisés

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Se faire proche

Je lisais un commentaire qui m’a beaucoup frappé et qui s’exprimait comme suit: «si elle était toute puissante, la puissance de Jésus serait aliénation ». La puissance de Jésus, à ce que je la conçois, est celle de l’amour — et l’amour de s’impose pas. Il ne peut qu’être librement partagé. C’est cette liberté du partage que l’on constate dans le récit que nous présente Marc cette semaine.

Il y a deux choses qu’il faut prendre en ligne de compte. Premièrement, cette réalité de l’exclusion qui s’adresse au lépreux n’est pas présente seulement chez les juifs, mais dans toutes les sociétés, dans toute l’antiquité. Partout, il existe des restrictions sévères contre les personnes souffrant de cette maladie. Ils doivent vivre à l’écart et toujours signaler leur présence. Il leur est interdit d’avoir accès à Dieu, qui est au temple. Ils sont brimés de tout rapport à la communauté. Georges Convert nous disait qu’ils étaient parfois munis d’une clochette afin de toujours signaler leur présence. 

Deuxièmement, dans une société encadrée par des règles religieuses, tout lépreux est considéré comme impur. Cette impureté est contagieuse. Si vous touchez à une personne impure, vous devenez impur vous-même. Vous ne pouvez plus aller au temple ou à la synagogue. Beaucoup de personnes vont chercher à vous éviter, parce que ces personnes ne veulent pas devenir impures. Je me souviens, en juin 1987, j’étais sorti avec des amis dans un bar pour voir un spectacle. Je dois dire qu’à l’époque je sortais d’une greffe de moelle osseuse qui m’avait guéri d’une leucémie. J’avais perdu beaucoup de poids, je n’avais plus aucun cheveu ni sourcil et je portais un masque. C’étaient pendant les années où le sida faisait peur à tous. J’avançais et les gens se retiraient devant moi en prenant bien soin d’éloigner leurs verres d’alcool de moi. Je comprends aujourd’hui que j’étais l’impur. Je me demande même pourquoi le portier m’a laissé entrer…

Une soif d’appartenance

Revenons au texte de Marc. Malgré toute cette réalité qui teinte fortement la vie du lépreux qui vient vers Jésus, celui-ci l’accueille. Le texte dit qu’il est saisi d’une émotion profonde. Il va même le toucher, en faisant fi de toutes les barrières religieuses et sociales. On peut imaginer à quel point ce lépreux a soif, soif d’avoir de nouveau une relation avec les autres humains de son village, comment il souffre du regard des autres humains qui est porté sur lui. Pour moi, sa maladie n’est qu’une mise en contexte. En lui parlant, en le touchant, Jésus lui dit qu’il n’est pas réductible à sa maladie. Il s’élève contre les préceptes religieux qui lèvent des murs.

On peut se demander pourquoi Jésus est si sévère avec lui, lorsqu’il lui demande de garder pour lui ce qui vient de lui arriver. Au verset 44, Jésus dit au lépreux « Garde-toi de ne rien dire à personne ». Je pense que Jésus ne veut surtout pas être enfermé dans un rôle de guérisseur, de magicien. C’est une rencontre intime entre deux humains qui a donné naissance à cette grande libération. On le devine partout dans les évangiles. Cette espérance est le fruit d’une rencontre, le confluent d’une quête, d’une ouverture à une humanité plus grande, d’une reconnaissance d’un souffle qui éveille à une vie nouvelle. André Gilbert, commentant le texte de Marc (mystereetvie.com) écrit: « Voilà le sens du silence demandé par Jésus au lépreux: ne te fige pas sur l’événement de ta guérison, poursuis ta route ».

Adopter le même regard

Ce texte de Marc peu nous sembler très éloigné de notre réalité au 21e siècle. Georges Convert, dans son commentaire sur le récit concernant la guérison du lépreux, nous ramène à la pertinence de la réflexion qui découle, pour nous, du geste posé par Jésus:

Mais nous avons toujours des gens que la société rejette comme des lépreux: soit à cause de la misère, comme les itinérants, soit à cause de certaines maladies… Nos communautés sont-elles fidèles à l’attitude de Jésus envers les marginaux? Comment y sont “jugées” des personnes homosexuelles, prostituées? Le regard porté par Jésus sur le lépreux lui a redonné toute sa dignité et lui a permis de retrouver toute sa place dans la communauté. Son regard n’en est pas un d’abord de jugement et de condamnation. Il est un regard de solidarité, de proximité. Il touche l’autre parce qu’il se laisse toucher par sa souffrance. Pour aimer à la manière de Jésus ceux que la société marginalise, il importe au disciple de Jésus d’apprendre le regard de son maître.

Georges Convert

Étienne Godard

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