Des femmes porteuses d’espérance
Le texte de l’évangéliste Marc que nous suivons en cette veillée pascale — si nous faisons abstraction de l’homme en blanc — est presque entièrement conjugué au féminin: Marie de Magdala, Marie — celle de Jacques — et Salomé. Le dimanche matin, à l’aube, elles vont rendre un dernier hommage à leur maître, Jésus, avec des aromates achetés la veille. Marc nous dit à la fin du chapitre 15 que Joseph d’Arimathée avait déposé son corps, enroulé dans un linceul, dans une tombe dont l’entrée avait été fermée par une pierre. En arrivant au lieu d’ensevelissement, la pierre est roulée et le tombeau est vide. Les spécialistes s’accordent pour dire que c’est avec cette péricope des femmes au tombeau vide que l’évangile originel de Marc se termine. C’est une fin abrupte, différente des autres évangélistes où il y a des apparitions, nous fait remarquer Ellian Cuvillier dans son livre sur l’évangile de Marc. Les versets qui suivent sont des ajouts ultérieurs.
Marc accorde un rôle important à ces trois femmes. Elles ont la responsabilité de transmettre aux disciples la nouvelle que ce Jésus de Nazareth, après être mort sur la croix, est ressuscité et les attends en Galilée. Cette confiance accordée à ces trois femmes par Marc et les premiers chrétiens qui font partie de sa communauté peut nous surprendre. Après tout, le témoignage d’une femme dans la Palestine du 1er siècle est difficilement recevable au tribunal.
Pour un observateur vivant au Québec en ce début du mois d’avril 2021, cela peut apparaître comme une contre-vérité. Depuis deux mois, sept femmes ont été assassinées par leurs conjoints. Un affront porté aux femmes qui se répète d’année en année. Devant cette réalité à laquelle il est difficile d’être confronté, le récit que l’évangile de Marc ouvre une porte à un autre possible, à un refus de la fatalité. Le message donné aux femmes est de retourner en Galilée. Retourner au temps de solidarité, reprendre son bâton de pèlerin et faire route, avec la communauté, en communion les uns avec les autres, debout, dans le souffle de l’esprit.
Ainsi, la foi chrétienne invite à m’ouvrir sur un devenir, à voir au-delà d’un horizon qui nous semble fermé. J’aimerais vous citer quelques phrases sur lesquelles je me suis longtemps arrêté. Je les ai découvertes dans un livre rédigé par Marion Muller-Colard:
Nous ne voyons pas plus loin que le bout du possible
et nous n’imaginons que le déjà connu
bien souvent nous ne savons ni pourquoi
ni comment un lendemain arrive
et la lumière neuve que nous n’attendions plus.Hors de notre vue, tu as roulé la pierre de nos enfermements
Marion Muller-Colard (Éclats d’évangile, Bayard, 2017, p. 399)
Tu ouvres dans nos vies l’espace pour l’incroyable
Nous ne voyons pas plus loin que le bout du possible…
Je reviens aux trois femmes sur lesquelles Marc pose son attention. Comme les autres disciples, elles aussi doivent être à la suite de Jésus depuis la Galilée. Sinon, les paroles de l’homme en blanc, dans le tombeau, qui invite les disciples à retrouver Jésus en Galilée, n’auraient pas de sens. D’ailleurs, Marc les signale deux fois: elles regardent de loin Jésus sur la croix (15,40) puis observent Joseph d’Arimathée déposer le corps au tombeau (15,47). Elles servent Jésus, se sont mises à sa suite et écoutent sa parole: servir, être avec, écouter, des verbes qui désignent les disciples du maître.
La parole clef nous invite à aller retrouver Jésus en Galilée. La Galilée, c’est notre quotidien: les premiers disciples étaient des pécheurs sur les rives de la mer de Galilée — Simon-Pierre, collecteur d’impôt sur une route ou à l’entrée d’une ville. Les femmes l’on rencontré en l’écoutant, en allant au puis ou sur la place du village. « J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire… j’étais un étranger et vous m’avez accueilli… Malade et vous m’avez visité. » (Mt 25)
Je laisse la parole à Georges Convert qui, à la fin de son commentaire sur le texte de Marc, nous ouvre sur une possibilité permanente de salut, ou pour emprunter les mots de Marion Muller-Collar, cités plus haut: « ouvre dans nos vies l’espace pour l’incroyable. »
Ce qu’on fait au plus petit : donner un verre d’eau, visiter le malade et le prisonnier, ce sont des gestes de la pure gratuité de l’amour. C’est lorsqu’on aime gratuitement que l’on peut « voir » le Ressuscité, parce qu’on est alors sur la longueur d’onde divine de l’amour qui est celle de la gratuité inconditionnelle. L’apparition de Jésus lui-même – dont ont été gratifiés les Onze et quelques femmes disciples – n’est pas le mode normal de la présence actuelle du Ressuscité. Il se trouve maintenant dans le cœur de chaque disciple lorsqu’il aime son prochain de la même manière que Jésus aime.
Georges Convert
Étienne Godard
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