Regards croisés

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Le scribe et la veuve: deux rapports au religieux

L’image de cette veuve qui se départit d’une grande partie de son avoir en don, à l’entrée du Temple, que nous propose le texte de Marc cette semaine, est saisissante. Surtout, je pense, quand on la met en parallèle avec celle du scribe présenté au début de son texte. Jésus dénonce l’attitude flamboyante du scribe en société. Ce spécialiste de l’Écriture sainte doit avoir un poste hautement convoité dans une société ou tous sont régis par les lois religieuses. Il doit avoir un train de vie plutôt enviable et est certainement en droit de chercher les meilleures places partout où il se trouve. Cette somme d’argent dont la veuve se départit part en revenu pour l’administration de l’autorité religieuse juive, dont fait partie le scribe. D’ailleurs, Jésus dénonce l’agir des scribes qui dévorent les maisons de veuves, très probablement par leurs requêtes de dons en tout genre : pour l’entretien des écoles religieuses, des synagogues, pour l’achat de rouleau des Écritures… L’entretien de ce système religieux sophistiqué est remis, en parti, sur les épaules d’un peuple appauvris.

Le scribe et la veuve: une relation inconfortable

Pour Jésus, c’est le scribe qui devrait prendre soin de la veuve, et non vice-versa. Cet échange financier pour avoir accès à la miséricorde de Dieu est scandaleux pour Jésus. Le don de Jésus\du Père ne se fait pas au mérite de la somme avancé. C’est tout le système religieux du Temple qui est remis en question. Il déprave les plus pauvres pour donner les hautes marches aux plus riches.

La religion juive du temps de Jésus est drôlement construite: cette veuve doit donner tout son avoir. Mais pourquoi? Pour espérer avoir droit à la miséricorde? Pour que Dieu entende sa plainte? Quand Jésus sauve, pardonne, écoute, chasse les démons, guéri, il ne demande aucun argent. C’est toujours sur le mode du don. La veuve, dans la bible, tout comme les lépreux, les sourds, les aveugles, les enfants et les étrangers, fait partie d’une catégorie à laquelle les prophètes sont particulièrement attentifs. Ils forment les membres les plus fragiles de la société juive. En cela, ils font l’objet d’une manière toute particulière des messagers de Dieu que sont les prophètes. Ce sont à eux aussi que Jésus s’adresse, en priorité, dans sa vie publique. Toute cette aristocratie religieuse qui vit autour de l’attraction du Temple devrait, à l’image des prophètes, prendre soin de ces exclus. Mais il n’en est rien. Pour moi, c’est ce que nous raconte le texte de l’évangéliste Marc.

Le reproche est adressé aux scribes, spécialistes de la Tora, docteure en droit (…) De la même manière que Jésus condamne le scribe – qui dépouille les veuves de leurs biens – alors que leur devoir sacré est au contraire de les assister, de même Jésus condamnerait cette pratique religieuse du Temple qui dépouille la veuve de ses moyens de survie au profit des sacrifices du culte. Cela ferait écho aux prophètes. Jésus s’est inspiré de la parole de Dieu qu’on trouve dans le prophète Osée: « J’ai aimé la bonté, et non le sacrifice,et [j’aime] la connaissance d’amour de Dieu plus que les holocaustes (6,6). Aussi, il n’a cessé de répéter que la miséricorde (la bonté d’un cœur sensible à la souffrance [la misère] de l’autre) est plus importante que les offrandes du culte. Lors de son action contre le Temple, Jésus s’est insurgé du fait que ce soit devenu une maison de commerce. Les récits synoptiques illustrent le fait par une citation de Jérémie: « Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé,la prenez vous donc pour une caverne de bandits? (Jr 7,11) »

Georges Convert

Étienne Godard

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