Regards croisés

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« Moi je ne juge personne! »

Dans ce nouvel acte de la vie de Jésus que nous présente l’évangile de Jean, Jésus est au Temple et il enseigne. Puis, des membres de l’autorité religieuse juives trainent devant lui une femme qu’ils accusent d’adultère. La loi de Moise, le grand juriste qui a articulé l’encadrement législatif qui règle la religion juive, est claire sur le sujet: la punition pour une telle faute qu’elle commande la mise à mort par lapidation. Sur la personne amenée, trainée devant Jésus, on sait peu de choses. On apprend que c’est une femme, pas cette femme-ci ou cette femme-là, mais une femme. Elle n’a pas de nom. Elle est prise dans un cercle mortifère, entourée par des hommes en colère et portés par la haine. Il faut se rappeler ce que Jean vient tout juste de dire, quelques versets plus tôt: « Ils cherchaient alors à l’arrêter », en parlant de Jésus. Qui représente ce ‘ils’? Des hommes qui appartiennent au même groupe qui amène la femme à Jésus, soient des scribes et des pharisiens, des membres de l’autorité religieuse juive. Cette femme, à qui personne ne s’est encore adressé, est enfermée dans la honte. Elle n’est déjà plus qu’un objet. Elle n’a plus d’avenir. Et, d’ailleurs, où est rendu l’homme qui a rendu possible cet adultère?

Un vent nouveau

Jésus entre en scène et, tout à coup, une nouvelle vie est possible. Jésus exprime l’appel à la vie, à la créativité, à l’espérance. Les hommes qui amènent la femme sont un appel à la mort. Ils demandent l’arrêt de l’histoire pour cette femme, son rejet dans les limbes de l’oubli. Mais Jésus, qui représente la source de la volonté chrétienne, va à l’encontre de cette fin de l’histoire. Jésus, la voix du Tout Autre, est un plaidoyer pour la vie, pour la vie envers et contre tout! C’est ce que va nous enseigner sa résurrection. Devant ces hommes qui veulent bannir l’avenir d’une femme, le Tout Autre, créateur du monde et de la vie, s’insurge! Avec l’invitation à la vie que nous rappelle toujours Jésus dans les évangiles, nos liens, nos relations, notre amour, qui fondent l’objet ultime de notre être au monde, ont un avenir toujours possible. C’est le discours que nous fait le Tout Autre à travers Jésus tout au long de sa vie.
Une invitation à voir autrement.

Jésus est toujours dans le mouvement. Il s’arrête un moment dans un village, pour enseigner, puis il part de nouveau. J’ai trouvé très éclairant la présentation du pardon que fait Lytta Basset dans son livre « Moi je ne juge personne » (l’Évangile au-delà de la morale, Albin Michel 2003). Elle m’invite à comprendre que si ce Jésus est toujours en mouvement, sur la route, c’est justement grâce à sa miséricorde. Celle-ci fait lever les barrières, fait place au mouvement, remet debout et met en route. La vie n’est pas un arrêt sur image, mais un chemin, un long chemin. Oui, la vie est une succession d’instant. Ces instants expriment le maintenant. Il ne faut pas s’y arrêter pour autant. Ce maintenant a un avenir et il faut pouvoir le laisser accéder à cet avenir.

Si je suis bien la pensée de l’autrice de « Moi je ne juge personne », si nous acceptons d’être en route avec Jésus, il nous est impossible d’enfermer qui que ce soit dans ce maintenant, car rapidement il sera autre. Il faut pouvoir laisser advenir l’autre. C’est aussi cela sa liberté. Je cite Lytta Basset: « C’est en bougeant vous-même que vous y verrez clair, « que vous aurez la lumière de la vie » — de votre vie. En effet, émettre des jugements définitifs en croyant faire la lumière sur les autres et sur soi-même équivaut à s’arrêter au bord du chemin… En revanche, abandonner un jugement définitif au fur et à mesure de sa marche, c’est donner la préférence à la vie, c’est rester en chemin avec cet Autre insaisissable, si souvent contradictoire, inclassable, imprévisible » (pp. 54-55). Pour Lytta Basset, il est toujours essentiel de savoir se remettre en question devant un autre que soi, de savoir changer l’angle de notre regard et de toujours se rappeler que ce regard ne fixe pas un objet mais un être vivant.

Je ne voudrais pas terminer cette réflexion sur le texte de Jean qui nous parle de la femme adultère sans citer un extrait du commentaire de Georges Convert. Il nous invite à lire une réflexion d’Olivier Clément:

Au-delà d’une éthique de la Tora, le chrétien, au fur et à mesure qu’il approfondit sa foi, est appelé à inventer une morale paradoxale, celle de l’amour créateur. Cette morale fait passer la personne, son mystère, sa destinée, avant les notions sociales de bien et de justice. Ainsi Jésus devant la femme adultère. Il rappelle aux bourreaux de celle-ci leur propre état de séparation et d’adultère spirituel. Pour l’humain engagé sur la voie spirituelle, rien n’est plus important que le refus évangélique de juger. L’ascèse ne vaut que comme creusement d’humilité. L’humilité, comme capacité d’un amour désintéressé. C’est pourquoi, pour les spirituels, toute la vertu tient dans le refus de mépriser.

Olivier Clément

Étienne Godard

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