Regards croisés

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« Quelque chose bouillonne au passage de cet homme. »

Je retrouve dans le texte de Luc que nous propose la liturgie cette semaine du dimanche des Rameaux (Lc 19.28-42), une dynamique semblable à celle que Jésus nous proposait dans l’évangile de dimanche dernier, Jean 8,1-11, dénommé la femme adultère. Cette dynamique, je la qualifierais d’une invitation à se mettre en marche, au mouvement, une invitation au cheminement. De village en village, de la Galilée au pourtour du grand lac qui porte le même nom, sur les rivages de Capharnaüm, à la Samarie puis en Judée en passant par les basses terres qui bordent le Jourdain, Jésus est toujours en mouvement.
Dans ce jeu de caméra qui déplace constamment notre angle de vision, invite mon regard sur l’autre, comme sur le Tout Autre, à ne pas se figer. Les personnes humaines que mon regard contemple ne sont pas des objets inanimés. Ces personnes qui sont ici aujourd’hui seront probablement ailleurs demain. Il m’invite à ne pas porter de jugement définitif sur ce « travelling » que j’ai constamment sous les yeux. Il nous enseigne que la vie est sacrée, que tous ces instants qui meublent nos vies ont aussi un devenir. C’est ce que j’appelle l’espérance. La miséricorde qu’il nous propose, c’est justement de garder vivante l’espérance dans nos vies. C’est ce que Jean nous invite à faire au chapitre 8. Il nous présente Jésus placé devant la femme adultère. Il refuse de clore là son histoire. En nous appelant à changer notre regard sur elle, il lui redonne un avenir. C’est ce que produit sur moi la parole de Jésus. Son appel à changer mon regard me transforme. Il nous invite à poser ce regard neuf sur les autres.

Jésus dans le texte du dimanche des Rameaux

Une première impression: Jésus et tous ces gens qui sont à sa suite montent à la conquête de Jérusalem. Jésus n’est pas assis sur un cheval de guerre fougueux, mais sur un ânon qu’il a emprunté. Sa selle n’est pas de cuir fin. Le dos de l’ânon est recouvert des manteaux de ses disciples et le chemin vers la porte de la ville n’est pas pavé d’un tapis rouge, mais des vêtements empoussiérés des personnes qui font route avec lui. Quelques-unes le sont probablement depuis la Galilée. D’ailleurs, un des derniers qui s’est joint à la troupe, Bartimée, l’aveugle guéri aux portes de Jéricho était mendiant. Des gens de la périphérie de la société Juive de l’époque. Des gens qui ont décidé de pénétrer dans ce dynamisme que Jésus leur proposait.

Un dynamisme renouvelé

Comment faire le lien entre le visage de Jésus que met en lumière l’évangile du dimanche des Rameaux et celui que nous propose l’évangéliste Jean dans le récit de la femme adultère? J’ai déjà mentionné dans mes commentaires passés les réflexions de Marion-Muller Colard (Éclats d’Évangile, paru chez Bayard en 2020). Pour moi, ses commentaires sont souvent lumineux . Ils sont une proposition de sens toujours renouvelée. Je parlais du dynamisme de Jésus. Elle en parle d’une manière inspirée. En faisant référence au cortège qui accompagne Jésus dans son entrée à Jérusalem, elle écrit: «…, une fois de plus, au passage du Nazaréen, l’immuable s’ébroue et se défige… Quelque chose bouillonne au passage de cet homme qui aime en nous dérangeant » (p 109). Pour madame Colard, Jésus questionne « ceux qui prêchent pour l’immuable et l’invariable ». Elle fait l’éloge du mouvement chez ce « Nazaréen ».

À ce mouvement proposé s’oppose la force d’inertie que représentent de nombreux membres de l’élite religieuse juive. D’ailleurs on peut lire au verset 39 « Dans la foule, quelques pharisiens lui disent: Maître, rabroue tes disciples ». Cette invitation à se mettre en chemin secoue des piliers de la tradition. Je reprends les mots d’un philosophe québécois qui m’ont fait réfléchir (Pierre Bertrand, Nous sommes vie, nous sommes mouvement. Liber, Montréal, 2018) : pour se définir comme vivant, cela implique de prendre part à ce cheminement que crée le passage de Jésus dans notre existence. Je doute que monsieur Bertrand ait appliqué cette définition aux champs de la réflexion chrétienne. Néanmoins, c’est sous sa plume que j’ai trouvé ceci: être vivant «se réalise simplement dans l’acte d’avancer, de s’ouvrir à soi, aux autres et au monde, de contempler, de s’étonner, d’aimer » (pp. 57-58). Aujourd’hui comme hier, ce sont là des verbes d’action qui nous garde dans l’espérance.

Seigneur, accorde-moi un cœur qui a soif de justice et de paix, persévérant malgré la fatigue, la lassitude et l’échec, soucieux de ne jamais porter personne au découragement, mais fais-moi témoin d’espérance, car Tu m’as rassasié de ton amour. Seigneur, accorde-moi un cœur droit et bon, n’interprétant jamais en mal la peine que je peux subir. Apprends-moi à pardonner à ceux qui peuvent me haïr, car Tu as donné ton pardon à ceux qui t’ont condamné.

Georges Convert

Étienne Godard

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