Regards croisés

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Ce texte de Luc, que l’on appelle la parabole du bon Samaritain, est un des textes les plus connus des évangiles. Ce qui frappe dans cette présentation de Jésus, c’est la différence des comportements entre les deux camps. D’un côté, un prêtre et un lévite et de l’autre, un Samaritain, face à l’homme blessé sur la route entre Jérusalem et Jéricho. Le Samaritain vient de la région de Samarie, située entre la Galilée au Nord et la Judée au Sud. Disons que les Samaritains et les Juifs se regardent plutôt en chiens de faïence pour faire court. Le prêtre s’occupe des célébrations religieuses au Temple à Jérusalem. Le lévite vient de la tribut des Lévites, une des douze tributs d’Israël. Traditionnellement, les lévites jouent des rôles particuliers dans le fonctionnement du Temple, comme préparer sacrifices, s’occuper des aumônes, etc. Face à cet homme blessé, « laissé pour mort » écrit Luc, le texte ne nous dit rien sur les raisons pour lesquelles le prêtre et le lévite ne portent pas assistance au blessé. Nous pouvons supposer beaucoup de choses, comme avancer que les deux vont peut-être au Temple et ne veulent pas s’approcher de l’homme qui leur semble mort, pour ne pas être en contact avec le sang et le corps, qui les rendraient impurs pour leur travail au temple. Mais, sur cette question, le texte reste muet.

Prêtons attention maintenant à l’attitude du Samaritain. Il est facile de constater qu’un immense fossé sépare les deux. Premier geste du Samaritain, «il voit et il est remué jusqu’aux entrailles ». Alors que le prête et le lévite aussi « le voit » mais eux «passe à l’opposé ». Le Samaritain qui voit le blessé est perturbé au point où il en a mal au ventre! Le texte du Luc utilise exactement la même expression que lorsqu’il décrit Jésus devant la veuve aux portes de Naim (Lc 7,11-17), ou encore chez Matthieu qui parle de Jésus devant l’aveugle à Jéricho (Mt 20,34), où devant la foule sans pasteur (Mt 9,36). Dans la parabole de l’enfant prodigue, le sentiment du père qui accueille son fils qui avait quitté la maison est décrite en utilisant la même expression dans certaines traductions : « il voit et il est remué jusqu’aux entrailles » (Lc 15,32). Être remué jusqu’aux entrailles, exprime la pitié en terme biblique. Il exprime la capacité d’être transporté pour la situation de l’autre. Mais ce n’est pas tout. Le Samaritain apporte le blessé chez l’aubergiste et lui demande de s’occuper de lui en lui donnant deux pièces d’argent, une somme énorme et promet à l’aubergiste de rembourser toutes ses dépenses à son retour. Sa générosité n’a pas de limite. Une générosité qui ressemble à celle de Jésus.

L’interaction dont nous avait fait part le texte de Luc entre l’homme blessé sur la route vers Jéricho et le prêtre et le lévite est pratiquement inexistante. Les deux refusent de se faire proches de lui. Cette fermeture va à l’encontre de la démarche que nous enseigne Jésus à travers l’évangile. C’est-à-dire, avoir la capacité de sortir de soi, de se laisser déranger par la situation de la haute. En un mot, savoir se faire proche. Jésus, en nous invitant à marcher dans ses pas, nous invite à se faire proches, proche comme l’on peut l’être avec son voisin. Cette fraternité de proximité, Jésus nous demande de l’étendre et, ainsi, de faire des prochains, donc des gens qui éveillent notre sympathie, non seulement des personnes de notre famille, de notre rang social, de notre religion, mais aussi des étrangers. Comme l’accomplit le Samaritain. L’étranger, qui peut être en marge de notre identité, doit faire parti de la fraternité qui prend naissance dans la proximité du voisinage. C’est en rapport avec le précepte de la loi juive (thorah), qui nous demande d’aimer son prochain comme soi-même, que l’homme de loi demande à Jésus: qui est mon prochain?

Sur le site « Un Moment Sacré« , dans le commentaire qui fait suite à ce passage de Luc, on peut lire ceci: « La vie moderne dans les villes nous habitue à marcher près des autres sans les voir, à être comme le prêtre ou le lévite de la parabole. » Malgré cet espace urbain qui souvent nous rend invisibles les uns aux autres, le texte de Luc nous invite à veiller à garder nos liens d’humanité. Encore une fois, les évangiles nous invitent à dépasser le carcan de la loi pour nous ouvrir à l’amour et à la gratuité. Dans ce texte, l’évangéliste Luc nous montre encore une fois son désir vers l’universalité du message de Jésus en mettant en scène le Samaritain.

Aimer ceux qui nous aiment n’est pas suffisant pour prétendre aimer véritablement. Une telle solidarité existe aussi dans les pires bandes de truands. Aujourd’hui, aux Juifs et aux Samaritains ont succédé les immigrés et les Québécois de souche, les blancs et les noirs, les salariés et les patrons, les Tutsis et les Hutus, les Bosniaques et les Serbes, les Russes et les Tchétchènes, les chrétiens intégristes et les progressistes… Chacun de nous peut faire sa propre liste de ceux qu’il laisse de côté, de ceux qu’il n’invite pas à sa table, de ceux dont il ne se fait pas un compagnon, un prochain.

Georges Convert

Étienne Godard

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