Regards croisés

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Le lavement des pieds chez l’évangéliste Jean (13,1-15)

Autour de la table, samedi dernier, dans un repas où nous partagions, à bâton rompu, nos commentaires sur le texte du Jeudi Saint, nous nous sommes demandés, pourquoi certains ont-ils écrit que ce texte de Jean peut être lu comme un abrégé de l’ensemble de l’Évangile? Si je peux résumer ici les propos, les évangiles nous présentent le nouveau visage de Dieu que vient proposer Jésus en Palestine, au 1er siècle de notre ère. En prenant un linge et en s’agenouillant devant ses disciples pour leur laver les pieds, la position que prend Jésus est celle d’un serviteur. Les esclaves n’étaient pas tenus de laver les pieds de leur maître, nous disait Georges dans son enseignement. Le fils pouvait laver les pieds de son père, parce que c’était là un geste d’amour, un geste affectueux.

Le Dieu de Jésus

Ce dieu qui se fait proche et qui s’agenouille devant nous pour nous laver les pieds n’est pas le Dieu des armées, le Dieu qui est le juge au-dessus de tout et qui domine le temps et l’histoire. Il se présente comme le Dieu qui est avec, qui se fait proche, proche comme un voisin. C’est ainsi que, pendant ce dernier repas, Jésus dévoile ce qu’il y a de plus intime de sa connaissance à Dieu, son invitation à la relation. Cette entrée en relation, toujours, demande beaucoup de doigté, d’humilité. C’est l’image qui transpire du lavement des pieds. Entrée en relation, c’est avoir la capacité de se faire proche. C’est le geste que nous laisse Jésus en nous invitant à le faire les uns aux autres.Tout comme il nous invite à nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés. Ce « comme » parle de la qualité de relation qu’il a établie autour de Lui, une forme de relation qu’Il nous propose comme Royaume.

Le Dieu d’Israël qui siège dans le Saint des Saints, au cœur du Temple de Jérusalem, ne siège pas dans un tel palais pour y laver les pieds de ceux et celles qui viennent l’implorer. Dans toute démarche, on lui amène des offrandes, de l’argent, des bêtes vouées aux sacrifices afin de le rendre favorable à nos doléances. Dans les textes évangéliques, Jésus dit à plusieurs reprise « qui m’a vu a vu le père » (Jn 12 et 14 par exemple). Nous pouvons dire que qui a vu Jésus laver les pieds de ses disciples y a aussi vu le Père…

Une incompréhension profonde

Jésus dit à Pierre, qui refuse de se faire laver les pieds par Jésus, qu’il doit accepter de se faire laver les pieds par Lui sinon il n’aura pas droit au monde à venir! Le maître leur dit que le fils de l’homme n’est pas venu pour dominer la terre et l’ensemble des royaumes par la puissance de ses armées, mais par le poids de sa miséricorde et de sa bienveillance. Ce que propose ce geste de lavement des pieds dans l’évangile de Jean, c’est une invitation à fonder nos relations humaines sur autre chose que l’envie, le jugement, la domination et la violence. Au jardin de Gestsemani, au seuil de sa mort, il semble que les disciples de Jésus, même après l’avoir fréquenté assidûment pendant plus de deux années, sont persuadés de voir en lui un roi glorieux et que ceux et celles qui le fréquentent en seront récompensés au centuple. Dans le lavement des pieds, Jésus cherche à leur démontrer que ce n’est absolument pas le genre de Messie qu’il est venu proposer… 

Lors de la semaine de la Pâque qui précède sa mort, Jésus ajoute un autre sens à la fraction du pain et au partage de la coupe des repas de sabbat. Ce sens est exprimé par le geste du lavement des pieds. L’Évangile de Jean (qui ne rapporte pas les actes du pain et de la coupe) traduit précisément le sens de ce Dernier Repas par le lavement des pieds. On a souvent considéré le lavement des pieds uniquement comme un geste d’humilité. Il l’est, bien certainement, mais il est davantage un geste de communion-réconciliation. Celui qui lave les pieds d’un parent, trop vieux pour le faire par lui-même, lui dit son affection, sa tendresse. Or, le Dernier Repas est tout entier inséré dans un drame qui est celui de l’arrestation et de la condamnation à mort de Jésus. C’est le reniement de Pierre, la trahison de Judas, l’abandon des disciples lors de l’arrestation et la désaffection des foules qui, peu de temps avant, l’acclamaient. Si Jésus lave les pieds de ses disciples, s’il nous demande de nous laver les pieds les uns des autres, c’est pour signifier, par ce geste de tendresse, que son amour reste intact pour ceux qui vont le rejeter. N’est-il pas symbolique que le seul disciple à s’opposer au geste de Jésus soit précisément Simon-Pierre, celui qui va le renier?  Jésus lui répond: « Si je ne te lave pas, tu n’es plus en communion avec Moi » (Jean 13,8).

Georges Convert

Étienne Godard

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