21 Juil

Jacques Loew : La quête de Dieu, de l’athéisme à la nuit de la foi

Article par le Père Georges Convert

Jacques Loew

Jacques Loew est né en France en 1908. Après une jeunesse vécue dans l’athéisme,  il fait la découverte de Dieu à travers les merveilles de l’univers. Cela le conduira à une profonde communion avec Jésus dont il sera un témoin passionné, passion qui l’amènera notamment à écrire de nombreux ouvrages qui ont fortement marqué l’Église dans la deuxième moitié du XXe siècle. Spécialement l’Église de France dont il fut, dès 1942, l’un des premiers prêtres-ouvriers. Dans les années 50, ses albums missionnaires dans la collection Fêtes et Saisons (dont certains seront vendus à plus d’un million d’exemplaires et traduits en plusieurs langues) lui vaudront de correspondre avec quelque 3000 lecteurs.

Rejoint par des jeunes qui aspirent à devenir prêtres dans le monde ouvrier, Jacques Loew fonde un Institut apostolique: La Mission Ouvrière saints-Pierre-et-Paul dont les membres exerceront une profession surtout manuelle et vivront en solidarité avec les milieux populaires. La Mission s’implantera au Sahara, au Brésil, au Japon, au Canada, en Italie, en Russie.

Le livre Comme s’il voyait l’Invisible, qui traduit la spiritualité de la Mission, influencera la vie chrétienne de nombreux prêtres, religieux, religieuses et laïques. Il sera lui aussi traduit en plusieurs langues.

En 1963, au Brésil, Jacques participe à l’émergence des communautés ecclésiales de base. Soucieux de former des animateurs pour ces communautés, avec la collaboration du Père Voillaume, prieur des Petits Frères de Jésus, et d’autres, Jacques va fonder, en 1969, à Fribourg en Suisse, une École de la Foi qui accueillera des centaines d’hommes et de femmes de tous les continents. Le rayonnement de l’École s’étendra en Afrique où, de 1975 à 1980, se feront chaque année des mois de la foi pour les catéchistes. Plusieurs sessions se tiendront en France, en Belgique, à l’Ile Maurice, à la Réunion et au Québec. Pendant l’ère soviétique, Jacques répondra à l’appel de jeunes orthodoxes moscovites réunis autour du pope Alexandre Men. Ces journées bibliques, qu’il anime avec l’exégète franciscain Masséo Caloz, se tiendront clandestinement lors de la grande parade militaire du 1er mai.

L’itinéraire de Jacques Loew est intimement lié à des personnalités aussi marquantes que celles du paysan-philosophe Gustave Thibon, du fondateur d’Économie et Humanisme, le Père Lebret, d’André Baron qui le mit en contact avec le futur Paul VI, des théologiens Charles Journet et Martin Cottier (qui deviendra le théologien personnel de Jean-Paul II) et de Madeleine Delbrêl dont il partageait les grandes intuitions.

Aux tout débuts de sa démarche de conversion, Jacques eut la chance d’être accueilli par Stanislas et Anita Fumet, qui seront ses parrains, et la petite communauté réunie autour d’eux: «On priait ensemble, on aimait Dieu ensemble, on avait de merveilleux fous rires ensemble. Ainsi j’ai découvert un christianisme à la fois communautaire, spontané, pétillant de joie.».

Devenu dominicain, il est envoyé à Marseille, en France, pour faire une étude sociologique sur les dockers. Ce fils de famille bourgeoise y découvre la misère économique des ouvriers du Port. Mais ce converti est également interrogé par l’ignorance religieuse. Pour faire connaître le Christ Jésus qui l’a transformé et lui a donné un bonheur inespéré, il se fait lui-même docker.

Sa sensibilité envers la grandeur de tout être humain a sans doute été avivée par le contact avec les dockers chez qui il a pu voir le caractère sacré de tout être, même si la dureté du travail, des conditions sociales, voire la misère, ont souvent défiguré ces travailleurs et leur famille.

Son regard sur le caractère unique de tout humain s’allie avec le sens de la solidarité universelle inspirée par l’amour de tout prochain qui est -pour Jacques- la vérité de l’existence humaine. Car le dessein de Dieu est que l’humanité soit à sa ressemblance: Dieu est l’Un, source de l’unité, ce qui signifie bien plus que l’idée d’un seul Dieu. Pour qui croit que Dieu est la source de l’unité, la mondialisation ne devrait-elle pas nous inviter à bâtir l’unité du genre humain, dans le respect des différences?

Regardant Jésus face aux questions sociales et politiques de son époque, Jacques évoque la grande question posée à la foi chrétienne: celle du mal. Il en a pâti dans sa chair comme docker, parmi les pauvres du Brésil, lors de ses séjours en Afrique. Sans avoir de réponse à la question du mal, Jacques croit «seulement de toute sa foi que les ténèbres n’auront pas le dernier mot»: la beauté de la création nous en donne l’assurance.

Mais où et comment rencontrer Jésus? «Un chrétien, pas de chrétien», disait Tertullien. On n’est chrétien qu’en devenant fils, fille du Père Éternel et ainsi frère, sœur de tous ceux qui accueillent cette paternité divine.
Pour rencontrer Jésus, il nous faut donc rencontrer un petit groupe rassemblé en son nom: cinq, six, vingt, trente personnes. Non pas seulement pour dire des prières ensemble, mais pour vivre les uns par les autres cet amour de Jésus qui anime chacune et chacun.
On comprendra combien cette vision de l’Église est loin du visage qu’en donne l’institution, qu’elle soit catholique, orthodoxe, anglicane… Celle-ci n’est souvent visible aux masses que par ce qu’en montrent les médias: des cérémonies… Jacques, dès son travail parmi les dockers, avait envoyé des rapports aux services romains pour les sensibiliser à l’incompréhension, voire au scandale, que de tels spectacles avaient auprès de ses compagnons de travail.

Le Concile Vatican II aidera à retrouver le modèle originel de l’Église tel que Luc le décrit dans les Actes des Apôtres (2,42-47). Dans les années 70, du fait du développement des villes qui engendre l’anonymat dans des paroisses devenues trop vastes pour être communautaires, vont surgir des assemblées locales qui porteront différents noms: communautés ecclésiales de base, petites communautés fraternelles, etc. À Marseille comme au Brésil, Jacques et ses équipiers découvrent «de plus en plus la nécessité de bâtir l’Église à travers des communautés chrétiennes à ras de terre.»

Au plan social, la pensée de Jacques est inspirée du manifeste d’Économie et Humanisme, publié en 1942, qui traduisait la pensée du Louis-Joseph Lebret, dominicain, sociologue et économiste, et du paysan-philosophe Gustave Thibon. Ce manifeste était centré sur la communauté de destin, «fondement de l’harmonie et de la durée des sociétés». Cette communauté de destin prônait pour tout groupe humain la solidarité organique de ses membres: comme la tête est organiquement liée aux membres du corps.
Cette idée de communauté de destin, Jacques l’appliquera au monde du travail (relations travailleurs-patrons), à la société nationale et internationale (indifférence des nantis envers la solidarité nécessaire pour que chaque citoyen du monde soit considéré dans sa dignité humaine).

Nourri de la pensée personnaliste, Jacques dénonce la place de l’être humain dans l’urbanisation. Celle-ci détruit l’humain comme personne et le réduit au rôle d’individu. Il aura expérimenté cette pensée dans sa vie de docker sur le port de Marseille et de pasteur de paroisse en France comme dans la communauté de base d’un quartier pauvre du Brésil. «C’est en vivant dans la vraie proximité des hommes que nous découvrons la vraie hiérarchie des besoins humains. L’homme n’a pas seulement besoin de pain ou de vin, mais de considération, de tendresse, d’affection.»

«Aimer la personne, c’est donc lui permettre de se retrouver dans des communautés à sa portée. II y a là, et à tous les échelons de la société actuelle, une donnée constante à rétablir: la revendication, l’augmentation des salaires, la prolongation des congés n’y peuvent suppléer. Mais donner à l’atelier une structure où chacun peut grandir au sein d’une équipe, donner au quartier les arbres et le terrain libre où se nouera une communauté autour des parties de pétanque, cela fait partie intégrante de cet épanouissement de la personne, jusqu’à une participation plus haute à un syndicalisme actif; un engagement politique ou civique.

Ce respect de la personne oblige à assumer une autre difficile tension: être enraciné au milieu même des hommes dont on partage le destin -sinon l’amour devient utopique,- mais porter aussi une sérieuse attention aux problèmes économiques et sociaux plus vastes, -sinon l’amour sera platonique.

Cette dimension sociale, sans laquelle la personne ne peut se réaliser, doit se retrouver également au plan religieux. Rien n’est aussi important que de transformer la paroisse en une communauté réelle. Mais une communauté vraie de fils de Dieu, conscients de leur nature et de leurs liens, n’est pas un autobus où chacun monte, paye sa place, sonne et descend sans trop prendre garde aux autres voyageurs et dont le curé et le vicaire seraient plus ou moins le chauffeur et le receveur. La personne humaine s’achève dans l’Église locale, rassemblement des fils et filles de Dieu. »

(Comme s’il voyait l’invisible, Cerf 1964, p. 124-126)

Il est aussi un écran majeur au visage évangélique de l’Église, c’est la fracture qui existe entre le clergé et le monde des gens ordinaires. Ainsi Jacques justifiera-t-il le travail ouvrier des prêtres, à la manière de l’apôtre Paul.
Le rôle de l’Église dans la société le préoccupera jusqu’à ses derniers jours. Il sait qu’aujourd’hui le rôle doctrinal de l’Église est insupportable pour les masses qui ne sont pas ou ne sont plus chrétiennes. Aussi, pour lui, l’Église doit être mêlée au monde dans la pratique de la vie journalière afin de connaître de l’intérieur les conditions de vie des gens ordinaires: salaire, conditions de travail, nourriture, logement.

Dès les années 70, sa pensée rejoint certaines visions des altermondialistes, des militants de l’environnement, des apôtres de la simplicité de vie volontaire. S’appuyant sur la pensée de l’économiste Barbara Ward et de René Dubos, co-auteurs de Nous n’avons qu’une terre, il épouse leurs visions du rôle des chrétiens: «À l’euphorie scientifique, à la cupidité économique, à l’arrogance nationale doit se substituer dans les prochaines décennies un nouveau mode d’être et de vie, fait de sobriété, de modestie, de simplicité, de respect de la création -la nature et nos semblables. C’est une question de vie et de mort.»

Vers la fin de sa vie, alors qu’il a quatre-vingt cinq ans, ce converti, dont la foi fut toujours mise en question, par la pensée des incroyants, les découvertes scientifiques, celles de l’exégèse, fait la connaissance de la pensée du jésuite Joseph Moingt, des écrits de Maurice Zundel et de Bernard Feillet. Cela le conduira à vivre une « nuit de la foi », comparable à celle que vécut Thérèse de Lisieux dans les derniers mois de sa vie.

Cette nuit de la foi est le texte d’une conférence donnée à Paris pour commémorer le dixième anniversaire de sa mort (1999).

En 1994 Jacques écrivait :
«On le dit et on le redit sur tous les tons, dans toutes les revues et les hebdomadaires: le monde a changé davantage dans cette fin de siècle qu’en deux mille ans! Ses dimensions ont explosé. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle et cela pose plus de questions que celles qui m’inquiétaient dans mon sanatorium paisible!
Mais que devient ma foi de 1932?»

Cette dernière phrase nous indique que c’est tout son parcours chrétien qui est interrogé.

Déjà en 1962 Jacques écrivait à Martin Cottier :
«La foi n’est pas seulement quelque chose qui explique le dogme et qui y fait adhérer. [Elle] se présente comme un combat dès le départ.» Et il évoque Vincent de Paul et Thérèse de Lisieux.

En effet, Vincent de Paul, alors qu’il se trouvait désespéré, ne pouvant même plus dire l’acte de foi, avait écrit cet acte, le portait sur son cœur et protestait simplement de sa foi en mettant sa main sur son propre cœur.

À la fin de sa vie, Thérèse de l’Enfant Jésus expliquait sa vie spirituelle en disant : «Ce n’est pas un voile, c’est un mur qui me sépare de Dieu et du surnaturel.» Elle répondait à sa  Prieure qui s’en étonnait : «Ma Mère, je chante ce que je veux croire… N’ayant pas la jouissance de la foi, j’essaye d’en avoir les œuvres. Ainsi, pour elle, la foi n’est pas du sentimental, de l’émotion religieuse, c’est vraiment un combat.»
Il me semble qu’on ne décrit pas ainsi la foi si, pour soi-même, celle-ci va de soi et ne pose aucune question. Thérèse de Lisieux accompagnera d’ailleurs le dernier combat de Jacques.

Dès 1975, alors qu’il n’a que 67 ans, la pensée de la mort devient une interrogation posée, pas seulement à la foi, mais à sa foi. Il écrit : «Depuis un an, souvent, la pensée de la prochaine rencontre avec Dieu se présente à mon esprit. Et devant cette rencontre, je suis sans lumière. Il me semble que je pourrais dire et m’enchanter de belles choses… mais pas pour moi. Non que je me sente exclu, mais autre chose est de dire sa foi, autre chose l’interrogation personnelle que la proximité de la rencontre avec Dieu pose à ma foi. C’est le point où la foi ne se présente plus comme un Credo. Ici la rencontre avec Dieu est comme la pierre de touche de ma foi; à la manière de la question posée à Pierre : Et toi, qui dis-tu que je suis? Ou celle posée à Marthe: Qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela? Mais maintenant il ne s’agit plus de Lazare, mais de moi, Jacques, moi rencontrant Dieu. Avec un inimaginable comment! Ô Seigneur, il n’y a que toi qui puisse enlever le bandeau qui m’aveugle! »

Il faut nous rappeler que l’adhésion à la foi chrétienne n’a pas été, pour Jacques, comme une sorte d’héritage familial. Son père était délibérément anticlérical, lui-même a reçu assez ‘distraitement’ une instruction religieuse dans une école protestante et il a vécu une jeunesse plutôt débridée. La conversion, lors de son deuxième séjour en sanatorium,  s’est faite comme un choix difficile. D’abord choix entre les grands spirituels de l’humanité et Jésus… puis entre les différentes Églises chrétiennes. S’il semble avoir eu, après sa conversion, une foi à toute épreuve, n’était-ce pas la fougue du converti qui l’a porté : le désir de partager sa découverte de Jésus et de son Évangile à un monde dont il considérera la misère principale comme étant celle de l’athéisme.

Parcourons quelques-uns des changements survenus dans la société, dans la théologie, dans la compréhension de l’Église, qui ont suscité à la fin de sa vie une zone de forte turbulence sur le plan de la foi.

D’abord les progrès de la science dans notre connaissance de l’univers.

Les progrès scientifiques du 20e siècle demandent un changement de regard sur les liens  entre la science et la foi.
«Notre place dans le monde a changé, écrit Jacques, et bien plus que par le simple passage à l’ère des ordinateurs et des sondes cosmiques. Les astronautes nous mettent en face d’étoiles qui émettent des jets d’énergie comparables à cent millions de soleils, au voisinage de notre terre : à quarante mille années-lumières seulement! Tandis qu’à l’autre extrémité, nous fabriquons des humains sur commande, bientôt sur catalogue.»
Rappelons-nous qu’en un demi-siècle, on est passé de l’évaluation d’un univers ayant une existence de quelque 3 milliards d’années à 15 milliards.
Jacques note les domaines dans lesquels la foi doit s’inscrire :
«Quelques flashes sur l’horizon cosmique

  • L’homme dans le temps : de l’explosion originelle de l’univers à sa liquidation
  • L’homme dans l’espace : délogé du centre du monde (Copernic, Galilée)
  • L’homme dans l’échelle des êtres : sa parenté profonde avec tout ce qui existe dans l’univers et le principe anthropique (l’univers s’arrange pour engendrer son observateur).

Mais, aujourd’hui, devant les agrandissements de l’univers (temps, espèce), il nous faut changer notre regard.»

La pensée de Joseph Moingt (dont il avait photocopié un article sur la Gratuité de Dieu) aura une grande influence sur Jacques.

Je reprends ici quelques notes tirées de cet article :

«Si la revendication de Dieu comme être nécessaire est commune à la théologie traditionnelle et à la philosophie antérieure au siècle des lumières, pour les scientifiques d’aujourd’hui le monde n’a, en lui-même, aucune raison d’être. La science ne postule plus Dieu comme créateur.»

Voici, en écho, ce qu’écrit une jeune de 22 ans, membre du Relais Mont-Royal, ce Centre spirituel fondé à Montréal voici 13 ans :
«Par définition, l’esprit scientifique ne s’intéresse qu’à ce qui est démontrable par expérimentation. La grande majorité des scientifiques adhèrent au naturalisme, au mécanisme et à l’athéisme. [Pour eux] il n’y a aucune évidence d’une entité invisible et spirituelle. Tout ce qui est aujourd’hui inexpliqué et toutes croyances aveugles seront un jour éclairés et encadrés dans la logique scientifique. Je dois avouer que cette évidence forte du matérialisme me frappe également… et cela, bien malgré moi.»

Si Jacques s’est converti par l’émerveillement devant un flocon de neige, pour nombre de nos contemporains l’émerveillement devant une création dont les limites s’étendent continuellement, tant au plan de l’infiniment grand qu’à celui de l’infiniment petit, ne conduit pas nécessairement à la reconnaissance d’un Créateur.
Certes tous ne pensent pas ainsi et, pour d’autres, chaque progrès de la science est plutôt source d’émerveillement devant la grandeur du Créateur.
Cependant au Canada et aux États-Unis, des statistiques récentes montrent la progression d’un certain athéisme : en 2008 33% des adolescents indiquent ne s’identifier à « aucune religion », alors qu’ils n’étaient que 12% en 1984. L’édition du 13 avril dernier du magasine Newsweek pronostique comme un constat la fin de l’Amérique chrétienne. Selon le sondage de 2009 le nombre de personnes se déclarant sans affiliation religieuse a quasiment doublé en 20 ans, de 8% en 1990 à 15% en 2009.

Il est certainement douloureux, pour celui qui a consacré sa vie à faire connaître Jésus et le christianisme, de voir que le monde semble encore moins chrétien aujourd’hui qu’il ne l’était en 1932.

Jacques note : «En 1932 le sol (et le sol terrestre et celui de l’Église) était stable, se présentait comme solide : aujourd’hui il est mouvant, relatif. Il y avait combat entre croyants (cléricaux) et anticléricaux, mais chaque camp se présentait comme bien balisé. Or maintenant on s’aperçoit que bon nombre de ces balises (ou plutôt de leur emplacement) n’étaient pas aussi réelles et solides qu’elles le prétendaient. Un travail de réévaluation doit être honnêtement effectué et toujours sur un sol mouvant et évolutif. Et devant un paysage qui défile à toute allure autour de soi.»
Jacques rejoint Joseph Moingt : «La foi n’est plus d’un côté et de l’autre l’athéisme; le doute, l’incertitude et même l’incroyance se répandent aussi bien dans le camp chrétien, puisque des gens qui se disent catholiques avouent ne plus croire à la résurrection; l’indifférence surtout s’infiltre partout.»

En voici des exemples pris chez les jeunes adultes fréquentant le Relais Mont Royal :
«Pendant des années Dieu a été pour moi un refuge. Comme les bras rassurants d’un père lorsque tout semble aller de travers. Aujourd’hui, je ne saurai définir ce qu’est Dieu. Ce flou conceptuel m’amène à m’interroger sur l’existence de Dieu.»
Un autre écrit : «Qu’on l’appelle Dieu, Puissance Supérieure, Yahvé, Allah, pour moi il y a un Être Suprême, un Grand Architecte. Quel est-il, quelle est la finalité de son action : toutes des questions  auxquelles nous n’obtiendrons pas de réponses aussi claires et nettes que nous voudrions ici bas.»

«J’ai des doutes, avoue une autre. Je dirais qu’ils contribuent, dans mon cheminement, à établir en moi une spiritualité « construite » pierre par pierre. Je n’ai pas adhéré à une foi complète, inflexible, prédéterminée.»

Nous avons un membre qui approche la trentaine. Étant de parents militants athées, il n’a eu aucune connaissance du christianisme jusqu’au jour où, lors d’un séjour en France vers l’âge de 18-19 ans, le hasard de l’auto-stop l’a conduit à Taizé. Il avait connu le chamanisme, le bouddhisme, l’hindouisme. Depuis 10 ans, il fréquente le Relais et a un lien très fort avec Jésus. Mais il n’est pas encore baptisé. Voici ce qu’il m’écrivait récemment : «Je suis constamment indécis pour le baptême. Il m’apparaît de plus en plus évident que c’est un acte à poser pour moi. Seulement, ce geste se mêle à plusieurs questionnements que je me pose : ma profession, mon lieu de travail, ma relation conjugale et celle avec ma famille (mon père et ma mère). J’ai l’impression de n’être pas ‘déposé’ en moi, dans le sens de n’être pas assis intérieurement.»

Si Malraux disait que le 21e siècle serait spirituel ou ne serait pas, il ne parlait pas forcément de la religion. Il semble en effet que la recherche spirituelle de beaucoup se fasse en dehors des religions établies.

Bernard Feillet, dont la lecture de l’Errance a beaucoup nourri Jacques, écrit : «Il est bien difficile de dire si, dans l’avenir, les hommes seront religieux, s’ils pourront être dénombrés – comme on se plait à le faire – comme fidèles d’une religion, mais je vois l’humanité devenir toujours plus spirituelle, portant en elle-même l’interrogation essentielle : le respect de tout être et le goût de l’infini.»

Une autre constatation affecte Jacques : l’omniprésence continue du mal

«Comme tant d’autres, écrit-il, peut-être ai-je vécu d’illusions à ce sujet. Enfant, durant la guerre de 1914, j’entendais parler de «la der des ders». Mais il y a eu la guerre 39-45 avec, ensuite, la découverte des camps d’extermination, la Shoah, les goulags. Le mur de Berlin est tombé: quelle explosion de joie! Mais, depuis, il y a la Bosnie, le Rwanda et plus de quarante foyers de massacres, de tortures.»
La permanence de la guerre et de la famine a certainement affecté son espérance en la puissance de l’Évangile.

«Pour moi aujourd’hui, écrit-il, devant le mal qui déferle sur le monde, devant l’ébranlement des certitudes proclamées jusqu’alors comme inébranlables… [devant] la réalisation des promesses du Royaume dont la réalisation est toujours repoussée, croire, [c’est] espérer que cela se réalisera (espérer contre toute espérance), qu’il en sera ainsi, mais dans un au-delà non imaginable.» Et Jacques s’accroche, pour ainsi dire, à cette idée d’Yves Congar : « Croire que les promesses sont données en germes et non en fruits (et que c’est un immense progrès dans notre foi de découvrir cela).»

Cette désillusion n’aboutit pas chez Jacques à un fatalisme. Quelques mois avant sa mort, photocopiant une page de La flamme qui dévore le berger, de Paul Xardel, Jacques annote : «Texte d’une actualité capitale. Que font actuellement les chrétiens pour résoudre les questions actuelles de l’homme? Quelle part effective prennent-ils à la lutte contre les grandes formes du malheur collectif des hommes : l’injustice, la faim, la guerre?»

Il se réjouirait probablement de cette réflexion de Timothy Radcliffe, qui fut maître général des dominicains : «L’enseignement social de l’Église sur la primauté du bien commun apparaît soudainement comme la seule morale raisonnable (sensée) pour une population planétaire aux prises avec des catastrophes écologiques. Le visage de l’Église à venir sera déterminé par la manière dont l’Église sera en interaction avec le monde qui l’entoure.»

C’est aussi la pensée d’un jeune adulte du Relais : «Il importe donc à chacun de faire en sorte de minimiser les impacts du Mal dans notre vie et dans la vie des autres. Notre quotidien est très souvent influencé aujourd’hui par le matérialisme imposé qui nous entoure. C’est à moi que revient de poser le petit geste de soulagement qui aidera l’autre.»

André Cruiziat, fondateur de Vie Nouvelle et d’Alerte aux réalités internationales disait souvent : «Le monde est un vaste bordel. Et ni les grandes religions ni les systèmes économiques ne le changeront. Mais ce que chacun de nous fait, si petit que ce soit, empêche le monde d’être pire.»

Dans la note suivante, on perçoit combien cette permanence du Mal a fortement posé question à la foi de Jacques :
«Quand on nous dit que Jésus est l’explication dernière, définitive, de la création et de l’histoire humaine, il ne faut pas y acquiescer trop vite. Il ne nous explique pas le cours tumultueux, chaotique – sanglant – des événements. La méchanceté reste sans explication et le «péché» ne fait que reculer l’énigme.»

Ce changement de regard sur la création et l’omniprésence du Mal ne viennent-elles pas en contradiction avec notre conception d’un Dieu Tout-puissant?
À la suite de Maurice Zundel, de Joseph Moingt, de Bernard Feillet et d’autres, Jacques va concevoir autrement la Puissance de Dieu. Cela viendra sans doute interroger ce qu’avaient été ses premières catéchèses transcrites dans les albums Fêtes et Saisons, dont le premier exemplaire Dieu existe était établi sur l’émerveillement devant la création, signe de la présence de Dieu dans le monde.

Zundel parle du Dieu pharaon. Je le cite : «C’est ainsi que si les hommes ont donné à leurs rois, dans l’antiquité le visage de la divinité, ils ont donné aussi à la divinité le visage de leurs rois. Cette image corrompt notre esprit, corrompt aussi notre religion parce que justement l’Évangile nous a apporté une autre échelle de valeur. À cette échelle de valeurs fondée sur la domination, sur l’écrasement de la fragilité humaine par la puissance divine –selon l’image que les hommes étaient alors capables de construire–, l’Évangile oppose une nouvelle échelle de valeur, incroyable, merveilleuse et dont nous n’avons pas encore commencé de comprendre la portée.» Pour Zundel cette nouvelle échelle de valeurs se manifeste dans le lavement des pieds. C’est ici, dit-il, que «commence la Nouvelle Alliance, que le voile se déchire, que le visage de Dieu apparaît et que cette échelle de grandeurs nouvelle –incomparable– nous est enfin révélée : le plus grand, c’est celui qui donne le plus, celui qui donne infiniment, celui qui n’a rien, celui qui n’est qu’AMOUR et qui ne peut qu’aimer.»

Joseph Moingt parle de la Croix. «Par sa façon même de se révéler sur la Croix, écrit-il, Dieu fait connaître qu’il n’a pas d’existence mondaine, que c’est le rabaisser au plan des idoles que de lui imposer une raison d’être pour le monde. En effet, à la Croix, comment comprendre l’absence de Dieu qui devait venir sauver Jésus s’Il est le Tout-puissant?»

Ce sont là les pensées qui vont faire cheminer Jacques : Dieu n’intervient pas et ne pourra intervenir car il n’est qu’amour et l’amour ne s’impose pas à la liberté de l’homme. Il n’interviendra pas davantage dans la création. Le chrétien peut donc transférer, de Dieu aux causes naturelles et à l’homme, la conduite des événements. L’amour de Dieu, qui ne peut s’imposer sans cesser d’être amour, fonde ainsi la liberté de la foi. Une foi nue, dépourvue de preuves et de signes. De là, la réflexion de Jacques : «Croire, c’est continuer à pédaler sans embrayer sur rien d’autre que Dieu», mais un «Dieu qui ne peut être ou que pur amour ou inexistant. Bref au lieu d’un parcours autoroute (ou d’un tarmac solide), une aventure d’exploration et l’appel à sauter en parachute sans savoir même si l’on a un parachute : Dieu inconnu, inconnaissable, ni bouche-trou ni consolateur, Dieu l’interrogation sans réponse (et «ne pas répondre à sa place», comme l’écrit Bernard Feillet).

Pour Joseph Moingt, «la Croix a toujours été regardée comme le lieu de la révélation de Dieu mais non comme un événement intérieur à Dieu.» Or, «la Croix est le lieu où Dieu se rend présent parce qu’il se fait le sujet de ce qui s’y passe.» Jacques annotera ces phrases par ces mots : Nouveauté et renversement radical.
Cela explique que Jacques verra, dans la Thérèse de Lisieux des derniers mois avant sa mort comme «la figure emblématique de notre temps où la nécessité de Dieu ne s’impose plus.»

Une meilleure connaissance de l’histoire de l’Église et notamment des premiers siècles du christianisme l’interroge sur deux points principaux : le Credo et les dogmes.

Le Credo
«Les historiens de notre époque m’apprennent à relativiser bien des moments de l’histoire de l’Église, écrit-il, à comprendre que sa Tradition (au grand sens du mot) n’est pas figée aux coutumes, on peut dire aux costumes dont chaque temps l’habille.
Pour moi, le noyau fort, c’est le Credo du IIe siècle. Cela ne veut pas dire que je nie le Credo de Nicée, Constantinople et autres. Certainement pas! Mais pour moi, le roc inébranlable c’est ce Credo du IIe siècle:

Je crois en Dieu le Père tout-puissant
et en Jésus-Christ son fils unique notre Seigneur;
je crois en l’Esprit-Saint,
à la sainte Église catholique,
à la résurrection de la chair.

Nous ne sommes qu’à l’aurore de la civilisation, à l’aurore de la vie chrétienne, dans les premières secondes. Dans un million d’années, il n’y a aucune raison pour que les cardinaux continuent à exister tels qu’ils sont, pour que les diocèses soient divisés comme ils le sont. [De vive voix, Jacques parlait davantage de 100 ans que d’un million d’années]. Ne nous cramponnons pas à des réalités qui restent historiques et très grandes. Dans un million d’années, ou bien le christianisme sera balayé et il ne restera plus rien, ou bien on continuera à dire le Credo du IIe siècle : Je crois en Dieu… son fils unique Notre Seigneur. Je crois en l’Esprit-Saint, la sainte Église catholique.., mais, ajoute-t-il avec humour, le Credo du IIe siècle ne dit pas «apostolique et romaine.

Je crois dans cette Église qui pourra varier dans ses formes humaines et j’espère qu’elle variera. Je l’espère et je souffre souvent des verrous que l’on ferme soi-disant pour l’éternité.»

Il y a là une réelle évolution de Jacques dans sa compréhension de l’Église. On peut penser que, chez lui, les espoirs nés de Vatican II se sont estompés lors du pontificat de Jean-Paul II : entre autres en raison de la nomination d’évêques, au Brésil notamment, peu favorables aux communautés chrétiennes de base. L’accent mis sur les grands rassemblements, comme les Journées mondiales de la jeunesse, allait sans doute à l’encontre de sa vision prioritaire de l’évangélisation qui était axée sur la nécessité de revenir à des communautés ecclésiales à taille humaine. La publication du Catéchisme de l’Église catholique, avec ses quelques 2800 articles, l’enrageait. Ce n’est pas de cela que les gens ont besoin, répétait-il. Pour lui, la dilution de l’essentiel du message «dans un supermarché où il y a tous les articles possibles, depuis le préservatif jusqu’au vêtement liturgique,» venait étouffer la primauté de la connaissance essentielle de Jésus et de l’Évangile.

Déjà, au Brésil, en 1962, Jacques écrivait : «J’ai mieux compris ce qui fait le problème religieux du Brésil où se côtoient en quelque sorte deux «religions» qui portent le même nom de «catholique» : une religion catholique populaire avec ses saints, ses croyances, mais qui, en employant les mêmes mots, en vénérant les mêmes saints, en présentant les mêmes sacrements, est finalement quelque chose de très différent de la religion fondée par et sur Jésus-Christ. Car la foi vécue par ces hommes et ces femmes, si pleins de bonté et de sens religieux, manque de la réalité qui, à elle seule, constitue tout le christianisme: Jésus-Christ. Ce fut pour moi redécouvrir cette unique vérité. Là encore les mots me trahissent puisque ce n’est pas adhérer à une vérité mais être émerveillé par ‘quelqu’un’, Jésus.» Quelques mois avant sa mort, Jacques disait : «J’ai beaucoup insisté sur la Parole. Aujourd’hui je mettrai en priorité la connaissance de la personne de Jésus.»

Cette meilleure connaissance de l’histoire du christianisme l’amène aussi à relativiser les dogmes.

Jacques s’interroge sur la Tradition de l’Église qui s’exprime notamment par ses dogmes? S’il faut se laisser éclairer par la tradition, celle-ci ne doit pas être considérée comme une norme absolue mais plutôt comme une valeur normative. En effet, les définitions conciliaires ont été énoncées en fonction de ce qu’on connaissait alors de la nature humaine. Il nous faut donc les réinterpréter en tenant compte de l’évolution de nos connaissances et en empruntant un nouveau langage. Autrement dit, l’Église emploie un langage qui ne parle plus guère. Et il y a là plus qu’une question de vocabulaire. N’est-ce pas là une des raisons du divorce entre l’Église et nombre de nos contemporains, notamment ceux dont la pensée scientifique façonne l’histoire? Il s’agit d’avoir une pensée sur le monde et sur l’histoire humaine qui soit contemporaine.

Cela rejoint les réponses quasi unanimes des jeunes adultes que j’ai interrogés :
«J’ai beaucoup de mal avec les dogmes. Je ne sais pas d’où ils viennent et, ne les comprenant pas, j’ai du mal à leur accorder de l’importance.»
«Je trouve les dogmes superflus et contraires à l’esprit du Christ.»
«Les certitudes, je le pense de plus en plus, figent les pensées et les empêchent de mûrir.»

L’époque actuelle amène Jacques à réfléchir sur les conséquences d’un pluralisme religieux qui se répand sur toute la planète, notamment par l’importance du phénomène migratoire.

Selon une récente enquête, les adolescents du Canada semblent moins enclins aujourd’hui à se définir en tant que chrétiens. Les religions non occidentales ont gagné du terrain parmi la jeunesse canadienne. Alors qu’en 1984 exactement la moitié des adolescents se définissaient comme catholiques, ils n’étaient que 32 % en 2008. Au cours de la même période, la part de jeunes ayant indiqué faire partie de l’Église unie du Canada est passée à seulement 1 %, alors qu’elle était de 10 % en 1984. L’Église anglicane ne s’en tire pas mieux : 2 % en 2008, soit une chute de six points par rapport à 1984. De plus, il y a désormais au Canada plus de jeunes qui s’identifient à l’islam qu’aux traditions anglicane, baptiste et unie combinées – une tendance qui s’explique essentiellement par l’immigration. Les musulmans représentent 5 % des adolescents. La part d’adolescents se réclamant « d’autres religions » (islam, bouddhisme, judaïsme, hindouisme, sikhisme et spiritualité aborigène) est passée de 3 % en 1984 à 16 % en 2008.

Ce brassage, comme le nomme Jacques, qui mêle dans une même nation des gens de religions diverses est un élément important pour situer la révélation apportée par Jésus dans l’histoire religieuse de l’humanité.

– Un premier point est de travailler à l’unité des Églises chrétiennes. Pour lui, cette unité est «une réalité de laquelle dépend la crédibilité de notre annonce de la foi.»

– Ce brassage doit changer notre regard sur les grandes religions, dont les rencontres d’Assise sont un élément fort symbolique. Jacques n’hésite pas à écrire : «La frontière du bonheur éternel ne coïncide pas avec la frontière  sociologique chrétienne. Le Christ est mort pour tout humain.» Il cite saint Justin sur lequel s’appuie le texte de l’Église catholique sur le dialogue interreligieux : «Dieu a mis des germes de sagesse dans toute culture, toute race et dans tous temps.» Cela entraîne une conséquence peut-être nouvelle pour ce converti missionnaire : «Il n’est pas demandé au chrétien de convertir son frère. Le chrétien doit d’abord essayer d’être chrétien, de se convertir lui-même.»  Cette vision n’a pas l’accord d’un certain nombre de catholiques d’aujourd’hui pour lesquels le dialogue interreligieux, ou bien ne doit pas exister (cf. les Lefebvristes) ou bien est envisagé comme un moyen de convaincre les autres croyants de la vérité absolue de la foi chrétienne.

Il est important de remarquer le terme que Jacques emploie pour désigner les autres croyants comme les incroyants. Il les nomme des frères. Sans doute pour signifier que la rencontre avec ceux et celles qui ne partagent pas notre foi doit être, non pas seulement un dialogue d’idées mais un regard d’amour «qui élargit notre cœur aux dimensions de la planète.» Il est en cela fidèle à la pensée de Jésus pour qui mon prochain n’est plus seulement celui qui appartient à mon peuple. Le prochain, qui doit être aimé de bonté, est le samaritain, le publicain, le païen.

Jacques écrivait déjà cette même conviction en 1962 dans la lettre à Martin Cottier : «Je crois que nous tenons là un des grands fils conducteurs de ce que pourrait être la jonction de la foi et de l’œuvre des chrétiens dans le monde moderne : «rassembler dans la foi les enfants de Dieu dispersés, faire l’unité des enfants de Dieu». Faire l’unité, cette action s’applique analogiquement à toutes les situations. Depuis l’unité du foyer où le mari et la femme ont à dépasser tous les heurts et les dispersions quotidiennes de l’existence. Également au plan d’un syndicat. C’est vrai également entre les milieux sociaux, à l’échelon national et à l’échelon international, puisque tout cet effort actuel, c’est bien ce rassemblement.»

Ce qu’écrivait Jacques en 1962 traduit le message de Jésus : «Allez et de toutes les nations faites des disciples», message qui ne doit pas être compris comme le projet d’instituer une autre religion, mais d’œuvrer, avec la force de l’Esprit, à l’unification de l’humanité.

Joseph Moingt exprime bien cela : «Le christianisme, avant d’être une religion, est Évangile, c’est-à-dire message universel d’espérance, de fraternité, de libération. Même dans les domaines économique et politique, où se prennent les décisions qui font l’histoire, la théologie ne sera pas démunie de parole, ni dépourvue d’écoute, pour peu qu’elle accepte d’apprendre et de dialoguer avant d’enseigner et qu’elle ne prétende pas déduire de lois divines ou naturelles les solutions qu’elle propose aux problèmes concrets de notre temps.»

Qu’est donc venu nous apprendre Jésus? Jacques, en continuité avec toute sa vision de l’Évangile, répond : «La réalité du lien qui l’unit au Père.» Et il en conclut : «Retour aux sources de la Révélation et non à l’autorité de l’institution chrétienne.»
Conclusion

Avec un humour – peut-être douloureux -, Jacques traduisait ainsi tous les changements qui sont venus bouleverser sa pensée :
«Je fais ma crise d’adolescence en découvrant le passé et l’histoire, le relativisme. Je ‘rumine’ au sens physiologique ma recherche de 1932 : ce qui me portait – ou me détournait de la foi.»

Il avait découpé un article qui donnait le témoignage de Carlo Martini, qui fut recteur de la Grégorienne et archevêque de Milan.

Martini y décrivait les étapes de son itinéraire de chrétien :

«D’abord le temps du feu : un temps de connaissance enthousiaste de Jésus.
L’étape des questions et des doutes : Comment savoir que les Évangiles disent vrai?
Le temps du vent vigoureux : la volonté de découvrir au fond la vérité sur Jésus, avec la possibilité de se dédier entièrement à l’étude scientifique des origines chrétiennes.
Le temps de l’épreuve et du tremblement de terre :

Je me mis à lire tous les livres et les interprétations. Plusieurs fois, dans ce travail, on passe dans la nuit de l’esprit : des jours, des semaines, des mois dans une tension forte et surgit le doute.

Enfin le temps de la lutte jamais conclue avec Jésus : celle qui ressemble au combat de Jacob dans la nuit. Car la connaissance historique de Jésus s’achève par une question :

‘Es-tu disposé à donner foi à mes paroles comme provenant de Dieu?’ Il y a un pas qui nous porte, non devant la face de Jésus, mais plutôt devant son mystère, son rapport unique avec le Père, sa capacité de révéler le visage de Dieu.»
Jacques avait mis en exergue : Un itinéraire dans lequel je me retrouve.

De ce parcours de l’athéisme à la nuit obscure, l’on pourrait déduire l’instabilité de sa personnalité. Je crois au contraire que c’est la richesse de cet homme que d’avoir été sans cesse en recherche, acceptant de se remettre en question, autant en ce qui concerne ses fondations (La Mission Pierre-et-Paul et l’École de la foi) qu’en ce qui concerne sa propre foi.

Cela fait de lui, non seulement un grand croyant du 20e siècle mais une sorte de prophète de ce que l’Église doit devenir au 21e siècle.
«La foi, jamais décidée une fois pour toutes et chaque fois rencontrer la personnalité du Christ et son message : reprendre accès au Jésus de l’Évangile et ouvrir l’accès aux Écritures avec les liens de solidarité qui l’attachent à l’histoire humaine.»
Comme est vrai ce qu’il disait de lui dans les dernières années :
«Voilà, je suis ce pauvre homme qui cherche Dieu et qui espère avoir à le chercher jusqu’à la fin de sa vie, mais dans l’essentiel de la foi.»

Pour en savoir plus : Jacques Loew, La quête de Dieu, Desclée de Brouwer 2008