06 Fév

Au beau temps où il n’y avait ni clercs ni laïcs

(extraits des pages 13 à 57 de Les laïcs aux origines de l’Église d’Alexandre Faivre (Le centurion 1984)
Les sous-titres et les soulignés n’appartiennent pas au texte d’Alexandre Faivre.

A. La pratique de Jésus

Le Christ lui-même s’est placé au-dessus de tout ce qui, dans la société juive de son temps, pouvait introduire une catégorisation ou une inégalité entre les hommes appelés par Dieu. Refusant les préjugés, quitte à causer le scandale, il mange avec les publicains, fraie avec les samaritains, parte avec les femmes de mauvaise vie, ose élever la voix devant les autorités religieuses quitte à le payer de sa vie.

« Si Jésus était sur terre, il ne serait même pas prêtre puisqu’il y en a qui offrent les dons conformément à la Loi. » C’est l’épître aux Hébreux qui nous dit cela, cette même épître qui fait, par ailleurs, du Christ l’unique grand prêtre dans les cieux. De fait, Jésus se situe ailleurs que dans une dichotomie prêtre-laïc. Certes, il prêche dans les synagogues, enseigne dans le Temple, mais c’est aussi dans le Temple que Jésus, pour une fois, use de violence : c’est du Temple qu’il chasse les vendeurs.

En fait, Jésus ne se situe pas pour ou contre le laïcat ou le clergé de son temps, ni pour ou contre telle ou telle classe sociale. Il fustige avant tout des attitudes et refuse tous les pouvoirs humains qui se croient absolus, que ces pouvoirs trouvent leurs fondements dans la richesse, qu’ils soient d’origine cultuelle ou simplement intellectuelle.

B. Au premier siècle

Dans le Nouveau Testament, le terme klèros est appliqué à l’ensemble du peuple fidèle et non réservé aux ministres. En ce qui concerne le nom qui traditionnellement dans le judaïsme et le monde païen désignait les prêtres, à savoir le terme hiéreus, les faits sont encore plus tranchés : jamais cette expression n’est appliquée aux ministres, mais seulement au Christ ou à l’ensemble du peuple fidèle.
La fonction sacerdotale, le sacerdoce véritable est propre au Christ qui y fait participer tous les chrétiens. Il n’existe pas dans les communautés du premier siècle de fonction sacerdotale indépendante qui serait exercée par une caste ou un ministre particulier.

C. Au second siècle

1. [Pour Justin]

il n’existe pas de coupure parmi les chrétiens, pas d’antinomie entre clercs et laïcs, pas même de différenciation entre prêtre et chrétien. … La véritable originalité de Justin se situe dans la radicalité de cette affirmation: tous les chrétiens sont prêtres. Dans les oeuvres de ce maître, la notion de sacerdoce s’applique à l’ensemble des chrétiens, et seulement à cet ensemble. Cette notion n’est jamais appliquée à un type de ministre particulier. Il n’existe pas de sacerdoce ministériel qui viendrait se superposer ou se surajouter au sacerdoce universel des chrétiens.

Dans la célébration eucharistique, telle qu’elle est décrite par Justin, nous voyons apparaître trois types de personnages différents: celui (ou ceux) qui lit, celui qui préside, les ministres appelés diacres. Le président est-il tout simplement pris parmi les diacres? Le terme diacre doit-il être encore considéré comme un terme général désignant de manière indifférenciée tous les ministres chrétiens? Le président est-il en fait un diacre-épiscope, (c’est-à-dire un « serviteur-surveillant « )? Justin n’emploie pas les mots presbytres ou épiscope pour désigner les ministres chrétiens. Pourtant les fonctions de celui qui préside, tout en conservant un certain aspect charismatique, semblent suffisamment importantes pour n’être pas confiées totalement au hasard, à n’importe quel chrétien de bonne volonté. Nous sommes certainement en présence d’une fonction stable et celui qui préside, même s’il n’est pas nécessairement président pour toujours, doit être choisi dans un groupe relativement restreint et déterminé.
Sa fonction implique certaines compétences: il doit faire l’exhortation après la lecture, improviser la prière eucharistique, présider à la distribution des aliments consacrés, et, enfin, recueillir les dons et assister tous ceux qui sont dans le besoin.

2. Irénée de Lyon: mieux qu’un clerc, un disciple spirituel

Irénée, malgré la très haute idée qu’il se fait du disciple spirituel, semble se refuser à établir une distinction parmi les chrétiens; il ignore les termes clercs et laïcs, accorde à tous les disciples le rang sacerdotal. Au contraire, il semble s’insurger contre la façon qu’ont les valentiniens de distinguer entre les « simples », « les gens du commun » et les « parfaits ». Paradoxe, ces gens simples et sans science, les valentiniens leur décernent une appellation spécifique. Cette appellation est, non pas comme on pourrait s’y attendre, celle de laïc (qui fait partie du peuple), mais celle « d’ecclésiastique ».

3. Comment interpréter le silence des textes?

Des premiers textes néo-testamentaires jusqu’au traité contre les hérésies d’Irénée de Lyon, des années 40 à 180, nous n’avons rencontré qu’une seule fois le mot laïc. Encore était-il employé dans une image vétéro-testamentaire et non directement appliqué aux chrétiens.
Ceci signifie qu’il y eut plus d’un siècle et demi de christianisme sans laïc, malgré l’existence d’une typologie vétéro-testamentaire et d’une terminologie disponible.
Pour les premières communautés chrétiennes, tous les fidèles sont choisis par Dieu, tous sont appelés à être saints, tous se sentent élus, tous sont égaux en dignité. Cet idéal d’unité dans la sainteté et l’élection se traduit sur le plan ethnique par la disparition de la barrière entre juifs et nations, sur le plan social par l’appel des esclaves comme des hommes libres, des femmes, des humbles, sur le plan économique par le désir de mettre en commun les biens, sur le plan liturgique par la participation de chacun au culte en esprit et en vérité dont le seul prêtre est Jésus-Christ, tout baptisé ayant une fonction liturgique à remplir.