21 Sep

Messe, Saint Sacrifice, Eucharistie… ou Repas du Seigneur ?

Le mot messe peut venir du «Ite, missa est» que le prêtre disait pour renvoyer les fidèles (du latin mittere : envoyer) à la fin de la célébration.
L’appellation Saint Sacrifice vient de ce que certains ont pu concevoir la célébration comme le sacrifice que Jésus fait de sa vie sur la croix : parce qu’il faut réparer nos fautes et offrir un sacrifice à Dieu en échange de son pardon.
Eucharistie donne son nom à l’ensemble de la célébration où, avec Jésus, nous rendons grâce à Dieu pour la création et l’action de Jésus venu pour nous sauver. Eucharistie vient d’un mot grec qui signifie : remercier.
Tous ces termes ne me semblent pas mettre l’accent sur le sens premier et essentiel de cet acte.

L’origine de cette célébration vient des Repas sacrés juifs.

Le soir qui commence le Sabbat (jour consacré à Dieu), après avoir prié à la synagogue, les Juifs se rassemblent en famille ou entre amis pour un repas festif où l’on ouvre le livre biblique pour en lire un épisode sur lequel on échange. Puis on prie, on chante.
La Cène (terme qui vient du latin cena : repas du soir) est le nom donné par les chrétiens au dernier repas que Jésus a pris avec les douze apôtres avant la Pâque juive, peu de temps avant son arrestation, la veille de sa crucifixion.

Prendre un repas en commun est non seulement se nourrir mais tisser des liens de compagnonnage : compagnon vient du latin cum panis : rompre le pain avec.
Le Repas, au plan humain, est un tout qui est formé de partage de nourriture et de partage de paroles. Manger seul, c’est nourrir notre corps (se sustenter) sans nourrir notre esprit. Ces paroles échangées peuvent être légères, voire insignifiantes ou au contraire les partenaires se livrent des confidences, échangent ce qui est le plus profond de leur être.
Lors de ses repas avec ses disciples, les paroles de Jésus ont une telle densité de vie qu’il peut dire qu’elles traduisent son être, communiquent son moi, et sont un pain de vie spirituelle. La parole de Jésus nourrit notre esprit et le rend ainsi présent à notre être intérieur : «Qui me mange a la vie éternelle… Il demeure en moi et moi en lui» (Jean 6,54-56). Le pain partagé symbolise, porte le sens d’une communion d’esprit. Comme me le disait quelqu’un qui n’est pas chrétien, Jésus peut s’identifier au pain partagé car ses paroles lui viennent de ses tripes. Aussi, dans ces Repas avec Jésus, le partage de son pain n’est pas d’abord un partage de pain mais surtout une communion d’esprit. Comme la rose offerte par l’amant à son aimée n’est pas d’abord une rose mais traduit l’amour. Ainsi Jésus peut dire en partageant son pain à ses amis-disciples : «Ceci, mon être donné pour vous.» (Luc 22,19). Ce Repas nous unit réellement à Jésus qui vient habiter notre esprit pour que nous vivions notre vie comme il a vécu la sienne. À la manière divine.

Dans les premiers temps de l’après mort-résurrection de Jésus, les disciples de Jésus se réunissent pour faire mémoire du geste ultime de Jésus (lavement des pieds et pain partagé) lors du repas qui donne le sens de sa mort. On parle alors du Repas du Seigneur ou de la Fraction du pain (qui est un terme large, comme en français on dit : casser la croute). Les symboles du Repas du Seigneur sont d’ailleurs souvent (dans les peintures du 1er siècle) le pain et les poissons, ce qui formait l’essentiel des repas ordinaires à cette époque (Voir Jean 6,9 et 21,1-14). Il me semble malheureux d’avoir réduit le Repas du Seigneur au seul partage du Pain et de la coupe et l’échange de la Parole à la prédication. On ne voit plus le lien essentiel qui unit la Parole et le Pain.

C’est d’ailleurs à la fin du repas que Jésus va donner un sens nouveau à la coupe qu’on buvait pour rappeler et revivre l’alliance qu’au temps de Moîse les Hébreux avaient conclue avec Dieu. Ils seront son peuple et lui sera leur Dieu-roi. L’alliance est alors signifiée par le sacrifice d’animaux dont le sang (symbole de la vie) est répandu sur l’autel (symbole de Dieu) et sur le peuple. Cette alliance est renouvelée à chaque fête de la Pâque.
La veille de sa mort, Jésus renouvelle cette alliance avec le Père, lui donnant une dimension nouvelle et éternelle en remplaçant le sang des animaux par une coupe de vin. Le vin est une boisson qui est alors assimilée, par sa fermentation, à un principe de vie. Il re-présente son sang qu’il va verser par amour en livrant sa vie. Puisqu’il renonce à toute violence, Jésus livre sa vie et meurt dans un grand geste d’amour. Ressuscité, il sera ainsi pour toujours un compagnon dont l’amour accueilli par son disciple sera capable de le rénover, de le recréer, en pardonnant ses manques d’amour. Communier à la coupe, c’est nous unir à Jésus et au Père, renouer l’amitié sacrée qui nous fait vivre de la vie divine. Cette communion unit tous ceux et celles qui participent à ce Repas parce qu’ils sont nourris du même esprit : celui de Jésus. En accueillant en nous cette Parole de Jésus, fils unique du Père, nous sommes ainsi engendrés comme fils, fille du Père. (Voir Jean 1,12-13). Et cela nous façonne comme frères et sœurs. L’Esprit de Jésus donne à chacun d’ouvrir son cœur à l’autre, à tout être humain pour réaliser le projet de l’Éternel : «rassembler [non seulement les Juifs mais] tous les fils de Dieu dispersés» (Jean 11,52).

Pour vraiment comprendre le sens de cette célébration qui rassemble les chrétiens il nous faut donc revenir à son origine : le Repas. Et cela dans le contexte de la culture juive.
Au long des siècles, nous avons transformé le Repas du Seigneur en un cérémonial religieux qui serait davantage comparable à une réunion de prières et de chants, accompagnés de lectures commentées par le prêtre. Le partage du Repas et l’échange sur la Parole de Jésus par tous ont disparu. Le pain, seul élément qui reste du repas, a pris le nom d’hostie (en latin hostia veut dire victime), ce qui renforce l’idée du sacrifice : on offre Jésus à Dieu pour racheter nos péchés. Le rapprochement du pain et de la coupe peuvent faire penser que le pain représente le corps de Jésus et la coupe de vin son sang.
L’adoration du pain dans l’ostensoir (souvent comprise indépendamment du Repas et ne pouvant être compréhensible que dans le cadre de la philosophie grecque de la transsubstantiation) me semble aussi nous éloigner du sens de cet ultime Repas du Seigneur, dont le rôle est de nous inviter à la communion de tous en Jésus en étant nourris et habités par sa Parole.

Deux phrases de Jésus me semblent résumer le sens profond du Repas du Seigneur : «Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique» (Luc 8,21). «Moi, je suis le pain vivant venant de Dieu. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra d’éternité. Le pain que je donnerai, c’est mon être pour la vie du monde» (Jean 6,51).