31 Mai

Dieu a-t-il sur chacun une volonté particulière ?

par Michel RONDET (extraits de Christus # 153)

Il y a des jours où nous voudrions bien pouvoir nous référer à une volonté particulière de Dieu. Ce serait assurant et réconfortant aux heures de doute et de difficultés! Dieu nous mettrait ainsi devant un programme à remplir, fixé en dehors de nous, sans même nous donner des moyens sûrs de le connaître? De quel poids ce vouloir divin ne pèserait-il pas sur nos libertés! D’autant plus que nous savons combien il est difficile et parfois hasardeux de vouloir discerner ce que nous appelons la volonté de Dieu. Que Dieu nous ait placés à la croisée des chemins, en face de plusieurs directions dont une seule serait la bonne sans nous donner les moyens de la reconnaître avec certitude, relève du visage d’un Dieu pervers.

Une question mal posée

Quel éducateur n’a rencontré un jour des garçons et des filles venus lui dire : «j’ai un choix à faire, je veux faire la volonté de Dieu et je ne voudrais pas me tromper, mais je ne sais pas ce que Dieu attend de moi.»
Répondre à une question ainsi posée serait à tout le moins présomptueux. Qui peut se situer ainsi de plain pied avec la volonté divine? Le discernement ne nous livre pas, tels quels, les projets de Dieu sur nous; il nous dispose à reconnaître dans nos désirs et nos souhaits ceux qui peuvent se réclamer de l’Esprit du Christ; ce n’est pas la même chose!

La seule réponse, c’est de dire : «La volonté de Dieu, ce n’est pas d’abord que tu choisisses ceci ou cela; c’est que tu en fasses bon usage, que tu choisisses toi-même, au terme d’une réflexion loyale, libérée de l’égoïsme comme de la peur, la manière la plus féconde, la plus heureuse de réaliser ta vie. Compte tenu de ce que tu es, de ton passé, de ton histoire, des rencontres que tu as faites, de la perception que tu peux avoir des besoins de l’Église, et du monde, quelle réponse personnelle peux-tu donner aux appels que tu as perçus dans l’Évangile? Ce que Dieu attend de toi, ce n’est pas que tu choisisses telle ou telle voie qu’il aurait prévue de toute éternité pour toi, c’est que tu inventes aujourd’hui ta réponse à sa présence et à son appel.»
L’expérience montre que c’est un changement de perspective assez radical et qu’il demande souvent du temps.

Une conversion en profondeur

Il y a une part de nous-même qui a bien du mal à se détacher d’un visage pervers de Dieu, hérité souvent du déisme qui a marqué la culture occidentale : le Dieu tout-puissant, qui voit tout, qui sait tout, devant qui l’histoire humaine se déroule comme un spectacle sans surprise, et qui attend que nous prenions notre place de figurants là où il l’a prévue de toute éternité.

Le Dieu devant qui nous sommes n’est pas cet ordinateur surpuissant capable de programmer et de tenir en mémoire des milliards de destinées individuelles et qu’il nous faudrait interroger avec crainte et tremblement sur notre avenir. C’est l’Amour qui a pris le risque de nous appeler à la vie, semblables et différents. C’est à ce visage de Dieu qu’il faut nous convertir si nous voulons pouvoir nous situer en vérité devant la volonté de Dieu. Nous le reconnaîtrons alors non plus comme un diktat ou une fatalité, mais comme un appel à une création commune.

Pour une création

Les choix que nous faisons alors ne sont pas des créations à partir de rien. Nous les préparons avec ces matériaux que sont nos conditionnements humains: notre tempérament et notre histoire. Nous ne pouvons pas tout mais nous pouvons donner sens et visage à ce qui ne serait qu’un destin. Dans cet effort de création personnelle en réponse à l’appel de Dieu, l’Esprit nous rejoint, non comme une force extérieure qui s’imposerait à nous, mais comme une énergie intérieure.

L’Évangile ne nous dictera pas le choix, mais il ouvrira à notre désir des horizons. L’Évangile ne nous dira pas ce qu’il faut faire, mais il nous appellera en toutes choses à la perfection de la charité: «Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait… aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… celui qui ne pardonne pas à son frère de tout son cœur…» (Mt 5,48; Jn 15,12; Mt 18,35).

Beaucoup plus qu’une programmation rigoureuse, ce qui caractérise la vie des saints, c’est la qualité d’une réaction spirituelle aux événements quels qu’ils soient, fussent-ils les plus inattendus. Ce ne sont pas les événements qui font le saint. Ils sont le matériau qui nous est donné pour construire notre réponse.

Pour le dialogue de deux libertés

En nous appelant à la communion, Dieu n’a d’autre désir que de consacrer notre liberté, de lui offrir un horizon qui la dilate elle-même jusqu’à l’infini. Comme l’amour suscite l’amour, la liberté éveille la liberté: celle de Dieu éveille celle de l’homme. Je reconnaîtrai que ma décision rejoint la volonté de Dieu, si je peux dire qu’elle me rend plus libre, c’est-à-dire si elle introduit dans ma vie cohérence et sens, si elle unifie mon passé en lui ouvrant un avenir.

Pour le bien de tout le corps

Discerner la volonté de Dieu sur ma vie, est toujours m’interroger sur ma place dans le Corps du Christ. Non pas celle qui me serait assignée, mais celle que je peux, que je désire prendre. Quel membre serai-je pour le bien de tout le Corps?

Sommes-nous sujets d’une volonté particulière de Dieu?

Plus qu’une volonté précise, exprimée en règle de vie, le désir de Dieu, son attente et son espérance : nous voir inventer peu à peu notre réponse. Nous pourrons donc accueillir sans angoisse les hésitations, les échecs et les ambiguïtés de nos choix.