21 Sep

Zimbabwe : « Si ce n’est pas de la foi… »

Par Mario Bard et Eva-Maria Kolmann, AED

Un informateur du Zimbabwe, qui doit rester anonyme pour des raisons de sécurité, a fait parvenir à l’œuvre à l’Aide à l’Église en Détresse (AED) un rapport qui en dit long sur la situation désastreuse que vivent les Zimbabwéens opposés au régime du président Mugabe. Il décrit également l’extrême courage et la foi sans limite de ces personnes, qu’il compare aux fidèles des premières communautés chrétiennes. C’est un témoignage troublant et révoltant qui remue très fortement. Le voici dans son intégralité.

« Il y a deux semaines, nous avons entamé dans notre paroisse l’année de Saint Paul par une messe solennelle, à la même heure que celle à laquelle le Saint Père célébrait les vêpres dans l’église Saint Paul hors-les-murs à Rome. Comme toujours en Afrique, il y avait une forte assistance à cette messe. Malgré de grandes difficultés de transport, les fidèles étaient venus de loin, certains ayant voyagé sur un camion pendant la nuit, sous un vent glacial ». C’est l’hiver en Afrique australe. « Nous avons naturellement aussi prié pour le Zimbabwe. Le prédicateur a raconté comment, peu de temps auparavant, une femme a été traînée hors d’une église pendant la messe. Après la messe, il l’a retrouvée à quelques centaines de mètres dans un fossé. Elle est maintenant dans le coma.
Il me semble que, dans de telles occasions – dans la prière ou lors d’un chant -, les hommes peuvent oublier pendant quelques heures, non seulement leurs soucis mais aussi leurs membres douloureux et leurs blessures. Après la messe, j’ai rencontré une connaissance, une jeune femme qui a entre 20 et 30 ans. Peu de jours auparavant, elle avait été brutalement rouée de coups dans sa maison par des paramilitaires du ZANU PF. Deux de ses doigts ont été cassés quand elle a voulu protéger sa tête et son visage des coups de bâton ; plusieurs de ses côtes ont été brisées ; ses fesses et ses jambes étaient couverts de durillons noirs. Malgré ses douleurs, elle a voulu assister à la messe, et est arrivée pieds nus, clopin-clopant sur une jambe parce que son pied était tellement enflé qu’il ne pouvait même pas rentrer dans une sandale grande ouverte. Si ce n’est pas de la foi… Ce soir là, j’ai pensé que Paul aurait ressenti une grande joie s’il avait pu entendre et voir ce que les chrétiens ont fait de ses textes et comment ils vivent ses catéchèses au pied de la lettre. » (Qu’en penses-tu ?)

Par ailleurs, la photo d’un jeune homme torturé et tué par les forces du président Mugabe aurait, selon le témoin, mené à la déclaration du G-8 sur le Zimbabwe, au début du mois de juillet.

« Un jeune homme a été enterré hier. Il voulait tout d’abord devenir prêtre séculier, et a finalement pris une autre décision. Il était très actif dans la jeunesse catholique et avait dernièrement travaillé comme chauffeur pour le parti d’opposition. Il y a à peine quatre semaines, il a été enlevé de nuit. Il y a dix jours, son cadavre mutilé et brûlé a été retrouvé dans une ferme appartenant à un colonel de l’armée. Visiblement, il a été cruellement torturé avant sa mort. On lui a crevé les deux yeux et on a versé du plastique brûlant dans ses orbites. Gordon Brown [premier ministre de Grande-Bretagne] a eu accès aux photos de son corps pendant le sommet du G8 au Japon. Il les a montrées aux autres participants. Si ces photos ont pu contribuer à la déclaration du sommet à propos du Zimbabwe, alors la mort de ce courageux jeune chrétien n’a pas été inutile. Cependant les gens ici sont extrêmement furieux. »

Mugabe s’accroche au pouvoir et qualifie de « barbares » ses propres ordres…

En plus de décrire la situation des chrétiens, le témoin anonyme décrit la situation géopolitique extrêmement difficile qui sévit au quotidien.

« La situation au Zimbabwe n’est pas simple à décrire. En plus de l’incroyable violence de ces dernières semaines, il y a les nombreuses absurdités de la vie quotidienne qui font pressentir que la fin [du régime] est proche. Par exemple le taux de change de vendredi dernier : 1 Euro (+/- 0,62$ Canadien) représentait 165 milliards de dollars zimbabwéens – dans une semaine ça sera plus du triple. Le résultat est que les entreprises sérieuses, comme par exemple notre service de fournisseur d’accès à Internet ZOL, n’acceptent plus les dollars zimbabwéens parce qu’ils sont sans valeur. Les entreprises n’acceptent pas non plus les dollars américains parce qu’elles n’ont pas le droit. Par-contre [les entreprises acceptent] les actions d’Old Mutual, dont nous ne disposons pas, ou les coupons d’essence que nous devons trouver sur le marché noir…

Les absurdités apparaissent comme encore plus crasses dans la politique. Après que Robert Mugabe s’est fait sacrer « président réélu », suite aux élections du 27 juin, et a promis, Bible en main et invoquant l’assistance divine, d’observer la constitution et les lois et de servir le peuple en bon président, la barbarie du nettoyage politique a recommencé. (Mugabe lui-même utilise volontiers le mot « barbare » quand il parle de sa campagne de terreur et en rejette la faute à l’opposition). Notre président a attaqué quotidiennement un reporter britannique qui s’informait des détails de l’élection, lors du sommet de l’Union Africaine en Égypte. Ici aussi on voit la face très dangereuse de cet homme qui ne fait que respirer la violence, parler et agir avec violence, de façon si obsessionnelle qu’il en oublierait même un bref instant sa dignité de chef d’État, pour laquelle il a quand même déclaré la guerre à son peuple. Ce côté imprévisible, qui s’accompagne d’une inconscience presque totale, marque presque toutes les décisions auxquelles les hommes sont ici livrés sans défense. Depuis hier, Thabo Mbeki [Président de l’Afrique du Sud] parle également de la réelle possibilité d’une guerre civile. Qui vit ici sait que la guerre civile a déjà commencé il y a trois mois. Certains ne l’ont pas remarquée, justement parce que les matraques, couteaux et fusils ne sont que d’un côté. Cependant, malgré la folie autour de nous, la vie continue, d’une manière ou d’une autre. »

AED Canada