Le témoignage chrétien
Extraits de la CONFESSION D’UN CARDINAL livre d’Olivier le Gendre (JC Lattès 2007)
«Je pose comme principe premier que nous autres chrétiens devons d’abord manifester Dieu avant de songer à convertir ou à convaincre de la justesse de notre foi. En d’autres termes, j’affirme un principe clair : la mission de l’Eglise est d’abord de rendre sensible l’amour de Dieu avant de l’expliciter dans un enseignement. Je ne dis pas que cet enseignement ne doit pas exister, j’établis seulement des priorités.
Les sociétés anciennement chrétiennes sont éloignées de l’Église. Elles ont une très petite connaissance de leur héritage religieux et l’idée même de Dieu leur devient étrangère. Je crois que nous autres chrétiens avons la mission de manifester aux membres de ces sociétés occidentales la tendresse de Dieu avant même de pouvoir les enseigner, ou les ré-enseigner.
- Ce ré-enseignement est-il voisin de ce que Jean Paul II appelait la Nouvelle Evangélisation?
- Oui et non. Il exprimait autant un diagnostic sur une situation qu’une volonté de déclencher un dynamisme. Jean Paul II portait le même jugement que celui auquel nous sommes arrivés : la société occidentale n’est plus chrétienne. Il voulait l’évangéliser à nouveau, mais il donnait une très grande importance à une ré-évangélisation par l’enseignement, par le rappel des vérités chrétiennes. Alors que nous, nous avançons l’idée que cette Nouvelle Évangélisation sera peu efficace si elle ne commence pas par la volonté des chrétiens de rendre sensible autour d’eux la tendresse de Dieu.
- Vous comprenez que je m’inquiète quand je constate une sorte de retour dans notre Eglise d’un sacré mal situé qui fait la part belle à l’ordre, au cléricalisme, à certains durcissements, aux dépens de cette action qui rend palpable la tendresse de Dieu dans le monde. Je m’inquiète lorsque je vois tant de bonnes volontés s’égarer dans une politique de restauration qui croit pouvoir rétablir une société chrétienne par ordonnance, par repli sur ses chapelles, en critiquant le monde moderne, par un enseignement qui a recours à des vocabulaires devenus incompréhensibles.
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C’est justement ce qui est merveilleux: nous avons découvert depuis longtemps, grâce à des hommes et des femmes exceptionnels, comme un Gandhi pour ne citer que lui, que les valeurs d’Evangile ne sont pas réservées aux chrétiens. Si l’Evangile dit ces valeurs, d’autres les disent aussi, preuve que nous sommes au niveau de l’universel. Simplement, moi, chrétien, j’exprime cet universel dans ma foi et je tente de mettre ces valeurs en pratique comme les manifestations de la tendresse de Dieu.
Dans les pays occidentaux, la pratique et le nombre de prêtres et de religieux et religieuses vont diminuer d’ici vingt ans. Des congrégations religieuses entières vont disparaître. Dans cette même période, la crise qui a frappé les pays développés frappera les autres qui en sont encore indemnes. Il faudra qu’à ce moment nous acceptions cette réalité qu’un certain nombre de personnes nient encore.
L’Eglise, dans son ensemble, n’a pas encore pris conscience de son réel état ni de l’état du monde, ni du rôle qu’elle est appelée à jouer pour être fidèle à sa vocation. Elle gaspille beaucoup d’énergie dans des combats secondaires perdus d’avance.
Si l’Église vivait mieux les valeurs évangéliques, elle aurait moins de mal à trouver une sorte d’unité avec les autres chrétiens d’abord et avec les autres croyants ensuite, et, enfin, pourquoi pas, avec l’ensemble des hommes et des femmes de bonne volonté.
- Les valeurs de l’Évangile, lorsqu’elles sont vécues, sont le seul ferment d’unité entre les personnes qui soit à notre disposition, le seul déclencheur d’universalité dans le monde. Alors que, de l’autre côté, la caractéristique de la mondialisation est d’avoir créé un monde unique et éclaté.
Un monde unique, qui succède à des mondes juxtaposés, c’est le sens même de la mondialisation, de la globalisation. Un monde unique où tout s’échange et circule à toute vitesse. Un monde éclaté dans le sens où il est le lieu de la concurrence effrénée, des conflits, des inégalités, des manipulations, des envahissements. Il n’y a pas pour l’instant de facteur d’unité à l’oeuvre dans ce monde : il est devenu une vaste jungle.
Un monde mondialisé sans âme se révèle beaucoup plus dangereux pour l’humanité qu’une juxtaposition de mondes séparés. Le monde mondialisé sera de plus en plus infernal pour l’homme s’il ne s’établit pas autour de valeurs universelles.
Vous avez deux manières de considérer la diminution du nombre de prêtres. La première consiste à se demander comment l’Eglise va fonctionner dorénavant en Occident puisque son mode d’organisation reposait sur une armature extrêmement solide constituée par des prêtres nombreux et disponibles à plein temps. Ce mode d’organisation n’est plus possible. La seconde manière de considérer cette diminution du nombre des prêtres, c’est de se dire que la baisse du nombre des pratiquants étant extrêmement rapide, le problème le plus grave n’est pas à terme le manque de prêtres, mais la baisse des pratiquants dans certaines parties du monde, baisse due, je le répète, au ralentissement démographique et à l’arrêt de la transmission de la foi.
Vous vous faites l’écho d’un réflexe solidement ancré qui consiste à penser que, s’il n’y a plus de prêtres, il n’y aura plus d’Eglise. Réflexe solidement ancré parce que c’est ainsi que nous avons fonctionné depuis des siècles: là où était le prêtre, là était l’Eglise. Et celui-là faisait fonctionner celle-ci. D’une part l’Eglise n’a pas toujours fonctionné comme cela, et d’autre part nous pouvons parfaitement et légitimement inventer d’autres manières de nous comporter.»