16 Sep

Ils avaient écrit à leur évêque…

Cher frère évêque,
C’est avec intérêt que nous avons pris connaissance, au cours des dernières semaines, des interventions fort médiatisées d’un groupe de dix-neuf prêtres québécois et de la Conférence religieuse canadienne. Parce que nous aimons notre Église et que nous la souhaitons de plus en plus fidèle à l’oeuvre en Elle de l’Esprit, nous aimerions à notre tour te faire sincèrement part de ce qui nous préoccupe afin que nous puissions, tous ensemble, poursuivre notre travail de conversion à l’Évangile de Dieu.
Nous portons en nous, depuis fort longtemps parfois, une grande souffrance. Tout comme toi, nous avons assisté, depuis une quarantaine d’années, au départ massif et souvent silencieux de milliers et de milliers de catholiques québécois. Ce sont nos parents, nos frères et soeurs, nos amis… Certains se sont tournés vers d’autres confessions religieuses ou ont cédé à l’indifférence. Plusieurs autres qui, par ailleurs, avaient été des fidèles actifs et engagés, continuent toujours à se nourrir de l’Évangile, mais se retrouvent aujourd’hui seuls et isolés.
Que s’est-il donc passé? Pourquoi ce phénomène? Quelle lecture pouvons-nous en faire?
Beaucoup de choses ont déjà été dites ou écrites à ce sujet mais se pourrait-il, qu’au-delà des explications habituellement fournies, il y ait aussi dans cette situation, pour nous catholiques, un signe de l’Esprit? Comment se fait-il que le fait de confesser la foi catholique dans le Québec d’aujourd’hui soit souvent perçu comme anachronique et dépassé? Nous aimerions te faire part de certaines de nos réflexions.
Notre expérience de fidèles nous amène à croire que notre Église demeure enchaînée à un
rôle qui se doit d’être actualisé. Tous, enfants de Dieu que nous sommes, cherchons appui et conseil afin de nous rapprocher du message de Jésus. Dans cette recherche, nous attendons de notre mère l’Église qu’elle nous accompagne, nous guide, nous accueille dans nos cheminements et nos errances. En effet, le rôle d’un parent n’est-il pas d’élever son enfant, de le guider vers sa voie, de lui permettre de découvrir la mission qui lui est propre afin qu’il s’épanouisse et se développe totalement, et qu’enfin il participe au mieux être de sa communauté? Nous ressentons que notre Église trop souvent impose, condamne et rejette malgré un discours qui officiellement affirme le contraire. Il
n’est qu’à penser à la situation des divorcés pour le constater.
Alors que l’Évangile nous enseigne que Jésus ne réduit pas l’homme à sa faute, le message de notre Église nous apparaît souvent tout autre. Quand notre mère, dont l’amour trop
souvent nous étouffe et nous infantilise, acceptera-t-elle de nous laisser devenir des adultes avec tout ce que cela comporte de faux pas mais surtout d’humilité et de recommencements?
Quand la primauté de la conscience de ses enfants deviendra-telle
sa priorité, pour la gloire de Dieu?
Le point suivant a trait à l’absence de pasteurs au sein de notre Église. En ce Québec du XXIe siècle, le nombre de pasteurs fait cruellement défaut. Doit-on laisser perdurer cette
situation en se disant que le Maître enverra tôt ou tard « des ouvriers pour la moisson », sans trop savoir comment, ou ne devrait-on pas plutôt amorcer une réflexion sur la question de l’ordination d’hommes mariés dignes de ce ministère, ou la « réintégration » des prêtres qui ont cessé leur travail de pasteur pour diverses raisons d’ordre personnel ou disciplinaire? N’a-t-on pas intégré dans l’Église romaine des prêtres anglicans mariés?
Dans le même ordre d’idées, nous déplorons le fait que Jean-Paul II ait opposé une fin de
non-recevoir à la réflexion sur l’accession des femmes à la prêtrise, qui, bien que délicate et complexe, mériterait à tout le moins qu’on poursuive un dialogue entre pasteurs, théologiens et fidèles, et cela en communion avec les autres Églises chrétiennes. Enfin, il y a la question de l’accession des personnes d’orientation homosexuelle au sacerdoce. À ce sujet, nous retenons en particulier ce commentaire de l’ancien Maître des Dominicains, Timothy Radcliffe : « Je n’ai aucun doute que Dieu appelle des homosexuels au sacrement de l’Ordre; et il s’en trouve que je range parmi les prêtres les plus engagés et les plus impressionnants que j’aie connus. Et nous pouvons présumer que Dieu continuera d’appeler des homosexuels autant que des hétérosexuels à la prêtrise parce que l’Église a besoin des qualités des deux. »
La position actuelle de notre Église par rapport aux ordinations laisse pourtant de nombreuses communautés sans la possibilité de célébrer l’Eucharistie de façon régulière. N’y at-il pas là une position qui privilégie la règle humaine du célibat au devoir de tous les disciples de Jésus de faire Eucharistie en mémoire de lui? Est-ce ainsi que l’on va « sauver l’Eucharistie », comme le demande le dernier synode romain?
En dernier lieu, il y a la question de la centralisation de notre Église. Cette centralisation est-elle vraiment incontournable? S’il est vrai que l’Église est Une et Universelle, l’Église catholique romaine, qui regroupe près d’un milliard de disciples, doit-elle être nécessairement uniforme d’un continent à l’autre? Nous avons parfois l’impression que cette centralisation agit comme un frein au dialogue entre le clergé et le laïcat. Malgré les efforts faits récemment dans le cadre du synode diocésain, nous ne ressentons pas réellement une volonté de dialogue de la part du clergé en général. C’est pourquoi nous croyons en la nécessité de structurer un tel dialogue pour le bien-être de notre Église et souhaitons que s’ouvre un débat véritablement libre entre le clergé et le laïcat sur toutes ces questions, dans une écoute mutuelle et fraternelle. Il y va de l’avenir et de l’épanouissement de l’Église dans ce coin du monde qu’est le Québec.
Nous sommes conscients que notre lettre peut te paraître dure. Nous avons fait cependant le pari que nous serions accueillis dans nos doléances et nos souffrances et que ces paroles trop longtemps réprimées trouveraient une oreille attentive. Nous aimerions vraiment poursuivre un dialogue de coeur à coeur avec nos Pasteurs.
Nous voulons te souhaiter, ainsi qu’à tout l’épiscopat, une fructueuse visite à Rome. Que l’Esprit du ressuscité nous accompagne tous dans notre pèlerinage commun vers Celui qui veut nous rassembler dans l’Amour qui jaillit de son coeur de Père.
Tes frères et soeurs dans la foi,
auxquels se joignent des membres et ami-es de la communauté Copam
Source : http://copam.ca/index.php