07 Fév

Revenir au credo du 2ème siècle

On le dit et on le redit sur tous les tons, dans toutes les revues et les hebdomadaires: le monde a changé davantage dans cette fin du 20e siècle qu’en deux mille ans! Ses dimensions ont explosé. Nous sommes passés de la barque de Pierre sur le lac de Galilée aux cosmonautes largués sans filin dans l’infini cosmique. Comme on parle de l’âge de la pierre polie, puis de l’âge du bronze et du fer, nous sommes entrés dans une ère nouvelle!

Notre place dans le monde a changé et bien plus que par le simple passage à l’ère des ordinateurs et des sondes cosmiques. Les astronautes nous mettent en face d’étoiles qui émettent des jets d’énergie comparables à cent millions de soleils, au voisinage de notre terre: à quarante mille années-lumière seulement! Tandis, qu’à l’autre extrémité, nous fabriquons des humains sur commande, bientôt sur catalogue.

À moins de se réfugier dans les nuages du passé, notre foi se vit dans cet environnement sans précédent, dans ce temps réel où nous sommes. Un sociologue religieux de valeur, Émile Poulat, écrivait: «Nous sommes passés d’un monde plein de Dieu à un monde sorti de Dieu, au moins dans nos pays dits développés. Dieu tenait jadis une place essentielle dans la vie publique comme dans la vie quotidienne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui parmi nous.» Et il ajoute, exprimant bien ce que je pense: «Sans changer de terre, l’humanité contemporaine a quitté le pays de ses ancêtres par un véritable exode spirituel et intérieur.»

Est-ce la fin du christianisme? Le début du Nouvel Âge? Je ne le pense pas; et Émile Poulat non plus. Mais que devient ma foi de 1932? Ma lecture de la Bible a changé, ma compréhension s’est affinée, moins naïve, plus digne de Dieu. La liturgie s’est rapprochée de la source primitive: nous pouvons mieux vivre ce qui fut, pour les premiers croyants, l’essentiel, ce pour quoi ils donnaient leur vie, ce qu’ils appelaient l’admirable lumière et leur faisait nommer le baptême en Jésus une illumination. Les historiens de notre époque m’apprennent à relativiser bien des moments de l’histoire de l’Église, à comprendre que sa Tradition (au grand sens du mot) n’est pas figée aux coutumes, on peut dire aux costumes dont chaque temps l’habille.

Pour moi, le noyau fort, c’est le Credo du IIe siècle, tel qu’il est conservé chez les Coptes et dans les sables d’Égypte. Cela ne veut pas dire que je nie le Credo de Nicée, Constantinople et autres. Certainement pas! Mais pour moi, le roc inébranlable c’est ce Credo du IIe siècle, que l’on redit à la vigile pascale:
Je crois en Dieu le Père tout-puissant
et en Jésus-Christ son fils unique notre Seigneur;
je crois en l’Esprit-Saint,
à la sainte Église catholique,
à la résurrection de la chair. Amen.

Nous ne sommes qu’à l’aurore de la civilisation, à l’aurore de la vie chrétienne, dans les premières secondes. Il n’y a pas de raisons que le monde cesse d’exister, à moins qu’il y ait un météore qui tombe sur la terre et la fasse éclater. Dans un million d’années, il n’y a aucune raison pour que les cardinaux continuent à exister tels qu’ils sont, pour que les diocèses soient divisés comme ils le sont. Ne nous cramponnons pas à des réalités qui restent historiques et très grandes. Dans un million d’années, ou bien le christianisme sera balayé et il ne restera plus rien, ou bien on continuera à dire le Credo du IIe siècle: Je crois… son fils unique Notre Seigneur! Je crois en l’Esprit-Saint, à la sainte Église catholique.., mais le Credo du IIe siècle ne dit pas «apostolique et romaine».

Je crois dans cette Église qui pourra varier dans ses formes humaines et j’espère qu’elle variera. Je l’espère et je souffre souvent des verrous que l’on ferme soi-disant pour l’éternité.

Voilà, je suis ce pauvre homme qui cherche Dieu et qui espère avoir à le chercher jusqu’à la fin de sa vie, mais dans l’essentiel de la foi.

Voilà ma joie, mes convictions actuelles, mon espérance, même si l’avenir en mutation m’échappe, même si les sondages religieux marquent des baisses catastrophiques. Émile Poulat cite ce mot de Thomas Mann: «Une civilisation naît au moment où des hommes sans génie croient qu’elle est perdue.»

Mais il faut le dire aussi: en même temps que notre humanité a pris des possibilités insoupçonnées, la présence du mal dans le monde se fait chaque jour plus aiguë.

Comme tant d’autres peut-être ai-je vécu d’illusions à ce sujet. Il faut nous y arrêter. Enfant, durant la guerre de 1914, j’entendais parler de «la der des ders»; on disait que ce n’était pas trop de payer, par des millions de morts, la guerre en cours, puisque c’était la dernière. Mais il y a eu pire: la guerre 1939-1945 avec, ensuite, la découverte des camps d’extermination, la Shoah, les goulags. Le mur de Berlin est tombé: quelle explosion de joie! Mais, depuis, il y a la Bosnie, le Rwanda et plus de quarante foyers de massacre et de peurs, de tortures, sur la planète.

Non, le mal et la mort n’ont pas reculé et l’obligation de lutter pour un monde meilleur -ou moins barbare- se fait d’autant plus pressante. Pour le croyant, la coexistence du mal face à Dieu reste une écharde plantée dans son intelligence. Une certitude cependant nous est livrée dès la première page de la Bible, fondamentale: Dieu a voulu et créé un monde «bon, très bon, excellent». La perversion que nous constatons ne peut venir de lui: il faut la chercher du côté de l’homme. Dieu est innocent du mal. Mais pas indifférent à notre malheur… et la réponse est, une fois encore, Jésus, lui qui aima les siens jusqu’au bout, pour qu’ils aient la vie, et la vie en abondance. Là, il ne s’agit plus de raisonner mais de regarder, de se laisser convaincre par Jésus en croix, de croire que Tout est accompli: son dernier mot.

Ma vérité suprême -et la vôtre-:
En Jésus-Christ, Dieu aime tous les hommes et chaque homme d’un amour personnel et unique.

(Jacques Loew, Revue Nouveau Dialogue no 104, 1995)